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A bientôt, Varsovie!

Carnet de voyage polonais, feuillet n°6.

Vendredi 7 janvier 2010, gare de Varsovie.

Voici mes dernières heures dans la ville de mon bien-aimé cinéaste Krzysztof Kieslowksi.

Ce matin, au moment d’acheter mon billet de tram pour aller à la gare, je me suis rendue dans une petite boutique au pied de l’appartement que l’on m’a prêté. Je demande en anglais à la vendeuse, une fausse blonde dodue, si elle peut me vendre un ticket de transport. L’amène bonne femme, sans me regarder, range ses piles de journaux et me répond tout simplement, d’une voix forte : NO. Interloquée – car c’est un local spécialisé dans la vente de tickets de transports – je reste sur place, me disant qu’elle a voulu signifier quelque chose de mystérieux que je n’aurais pas bien compris. Je souris. NO TICKET ! crie alors la goujate, et elle me désigne la sortie de la main.

Je sors en titubant. Ce serait donc… de la xénophobie? du… racisme? Peut-être, peut-être pas. Mais ce n’est pas la première fois que je me fais rembarrer pour avoir osé parler anglais. Souvenez-vous, chers lecteurs, de mes mésaventures à la gare. Je comprends mieux pourquoi Kieslowski disait : « J’en veux beaucoup à ce pays : j’y suis né et je ne saurai jamais le quitter ». Monsieur K n’aimait pas beaucoup la Pologne et pourtant il aurait voulu l’aimer.

La culture polonaise me fascine depuis l’enfance, parce que j’ai grandi avec une polonaise, une sœur de cœur. C’est elle qui m’a fait découvrir les films de Kieslowski. Mais mon voyage polonais m’amène à faire ce triste constat : le sourire et la politesse ne sont pas le plumage ni le ramage coutumiers des Polonais. C’est comme ça. Je pense que le même voyage en Espagne ou en Italie eût été différent. Ici, personne ne s’intéresse à moi, personne ne me demande d’où je viens ni pourquoi je voyage seule avec un carnet de notes et une caméra. En Grèce, j’aurais été assaillie de questions!

Je comprends soudain mieux, aussi, comment les étrangers en vadrouille peuvent se sentir parfois à Paris. Une fois, j’ai emmené des amis américains dans un bistro de l’île Saint-Louis. Le serveur nous a fait comprendre que si on mettait plus de 10 minutes à choisir nos plats (parce que j’étais obligée de traduire le menu), on pouvait aller voir ailleurs. C’est ce qu’on a fait, évidemment. La gentille quinquagénaire américaine que je promenais s’est mise à pleurer. « I was so much in love with France before I came here! » me dit-elle. « Everybody hates us! »

Pour mon dernier jour, je retourne chez A. Blikle pour manger mon dernier beignet à la rose. Au passage, je me rends à l’American Bookstore* pour acheter de quoi lire sur mon trajet du retour. Je choisis Blonde, le roman célèbre de Joyce Carol Oates, que j’avais toujours eu envie de découvrir. Bien m’en a pris : ce livre est une bombe nucléaire. J’y reviendrai.

Je déambule un peu dans les rues avant de me rendre à la gare. La gare… c’est justement le titre (Dworzec en polonais) et le sujet d’un splendide court-métrage documentaire de Kieslowski, réalisé en 1980. Essayez de vous le procurer, c’est l’un des meilleurs court-métrages que j’aie vu de ma vie, tout bonnement. Je pense à tous les films de mon cinéaste préféré, je pense à tous ces acteurs qui ont foulé ces pavés, je pense aux amis de Kieslowski, les cinéastes Agnieszka Holland et Krzysztof Zanussi, le musicien Zbigniew Preisner, son co-scénariste Krzysztof Piesiewicz. Le grand réalisateur est mort, mais eux sont tous en vie. Peut-être les ai-je croisés sans les reconnaître dans les rues de Varsovie?

A bientôt, Monsieur K…

Retour à Berlin, et fin de ce carnet de voyage polonais. Dans mon lit berlinois, une nuit, je fais un rêve merveilleux. Je me promène dans les rues enneigées de Varsovie en suivant les rails du tram lorsqu’un homme m’aborde. Il me propose de poursuivre la balade avec lui. Peu à peu, son visage me semble familier. Je lui dis que je le reconnais. Qu’il est Monsieur K. L’homme acquiesce, sincère, touché. Nous parlons de ses films. Je lui raconte des anecdotes de sa vie que j’ai lues dans ses biographies. « C’est magnifique, me dit-il. Ainsi, tu te souviendras toujours de ces détails que j’avais oublié. Tu es un petit morceau de ma mémoire. Maintenant, je dois te laisser. »

Monsieur K. a disparu dans les vapeurs de mon rêve et je me suis réveillée, comme en grâce, pour secouer mon amoureux et lui dire : tu sais, je crois que j’ai envie de raconter une histoire… l’histoire d’une voyageuse amoureuse d’un cinéaste disparu depuis longtemps…

* American Bookstore,

Nowy Świat 61, Warszawa

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Cracovie – deux artisans du divin

Stanislaw Wyspianski, Autoportrait, 1903

Carnet de voyage polonais, feuillet n°5.

Jeudi 7 janvier 2010, Cracovie.

Oh, craquante Cracovie! C’est l’hiver, des tonneaux entiers de flocons se déversent des nuages. Pourtant! Ici, dans les adorables rues de la capitale de la Petite Pologne, j’ai l’impression que le soleil s’est introduit partout, que tout rayonne! Les Cracoviens sont beaux comme leur ville. Ils sourient – fait rare d’après mon expérience varsovienne. Et ils parlent tous un peu d’anglais. Cracovie est une perle d’élégance. Une aristo épicurienne.

La place centrale, avec ses maisons aux façades jaunes, brunes ou roses, est merveilleuse. L’église qui s’y trouve s’appelle Notre-Dame Sainte-Marie. Elle abrite l’une des œuvres d’art les plus époustouflantes que j’aie jamais vues de ma vie, le retable de Veit Stoss.

Seul, absolument seul, Veit Stoss a sculpté un retable monumental dédié à la Vierge, à la fin du XVe siècle. Les saints et les anges, encadrant Marie, sont tous gigantesques, vêtus de draps d’or éclatants. Chaque mouvement de drapé est sculpté avec une maîtrise fascinante. Tout autour, des peintures murales rayonnent de couleur et de motifs floraux ; le haut plafond de l’église gothique est d’un indigo formidable, parsemé d’étoiles d’or ; les vitraux, hauts et minces, éclatent dans des tons oranges et jaunes.

Véritablement, on ne sait où poser les yeux devant tant de beauté. Le plus incroyable, c’est que cette profusion de sublime est parfaitement ordonnée. A l’image d’un monde parfait, créé par Dieu, à la fois incroyablement multiple, et réglé comme une mécanique parfaite. Mais cette église, me dis-je aussi, est la maison d’un roi. En aucun cas, celle de Dieu, ni celle du peuple. Ce n’est pas le sanctuaire où le croyant peut se réjouir de faire partie de la Création. Il ne peut que lever les yeux sur l’écrasante grandeur qui le dépasse. Ce qu’on lui demande d’adorer, c’est le pouvoir, pas Dieu. (Et le Vatican, me dis-je, poursuit cette hérésie aujourd’hui encore. Je préfère me recueillir dans la rue Prozna, même s’il y fait froid.)

Mais Cracovie a le don de la contradiction heureuse. Au moment où, aveuglée par la beauté du retable de Veit Stoss, je me sens toute petite et misérable, je tombe sur une carte postale. Un visage comme illuminé par la grâce : quelques traits de pastel, des yeux de feu mangés par une vie spirituelle intense, une tête pâle en lame de couteau. Stanislas Wyspianski, autoportrait. Qui est ce peintre? Je suis saisie. Qui est-ce? Qui est-ce?

Il a un musée rien qu’à lui, à Cracovie. Haletant dans la neige qui ne cesse de tomber, je m’y rends presque en courant. Ce portrait! Depuis si longtemps, je baille dans les musées et les galeries, et là, sur une carte postale, ce visage, cette vie ! Le musée est magnifique, installé dans une maison Art Nouveau. J’apprends que le peintre est l’un des plus grands artistes polonais. Il était aussi écrivain, dramaturge, décorateur dans la veine Art Nouveau, et… graphiste. Il inventa sa propre police de caractères ! La peinture de Wyspianski, ses pastels et ses dessins, sont tous colorés en transparence. Le trait est souple, voire ondoyant, et rappelle un Van Gogh, surtout dans ses paysages. Les deux peintres sont d’ailleurs contemporains. Wyspianski est né en 1869.

Le peintre polonais s’est beaucoup attaché à représenter sa famille. Dans son travail transparaît l’amour qu’il porte à sa femme et à ses enfants. Sans flatterie aucune, mais avec une attention protectrice, il étudie les expressions spontanées de sa petite Helenka, sa fille aînée, à moitié endormie, les yeux pâles et lourds, la tignasse en broussaille comme une auréole autour de la tête rose et douce, la bouche, entrouverte, présente. Ses fils adolescents, boudeurs, au-dessus d’une assiette de soupe. Comment fait Wyspianski pour saisir ces expressions au vol, avec un crayon seulement, là où l’homme du XXe siècle aurait saisi un appareil photo?

Wyspianski n’était pas polonais pour rien, il était évidemment catholique convaincu. Mais sa peinture religieuse n’a rien à voir avec les représentations grandioses du retable de Veit Stoss. Wyspianski peignit lui aussi des décorations d’église. Anges et saints y sont souples, humains, et possèdent cette même transparence charnelle que les portraits familiaux du peintre.

Je dois laisser la merveilleuse Cracovie. J’emporte la carte postale, l’autoportrait de Wyspianski. Le beau Stanislas voyage dans mon carnet de notes, avec ses yeux perçants, son regard bouillant de visionnaire ascétique et philanthrope.

Je suis triste de quitter la ville, mais celle-ci semble me faire un clin d’œil… sous la forme d’un tunnel.

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Berlin-Warszawa, train express

Voiture-bar des trains polonais. Photo volée ici.

Me revoilà, amis lecteurs! et pour la nouvelle année, je vous propose une série… polonaise. Le carnet de bord de mon voyage, rien que ça.

Lundi 4 janvier 2010. Train express Berlin-Varsovie.

16H : J’ai attendu le train sur le quai de la gare centrale de Berlin pendant plus de 35 minutes, neige oblige. Mais mon excitation d’aller en Pologne ne faiblit pas. Par la fenêtre du train, tout est blanc et brun, neige et bois nu des arbres sans feuilles. Dans la voiture-bar, en face de moi, une Polonaise d’environ cinquante ans boit une bière, seule. Blonde et vêtue d’une éclatante veste fuschia, elle est une héroïne Technicolor dans ce monde en noir et blanc.

Je partage mon compartiment avec un Allemand très « comme-il-faut » qui me fait penser à un prof de fac et deux petites vieilles. L’homme parle aussi le polonais et, prévenant, aide les vieilles dames à mettre leurs bagages sur l’étagère. Les deux grand-mères me font rire. Elles portent des manteaux en vison, couleur caramel-clair et caramel-brun. Elles ont les cheveux gris et coupés courts, des yeux clairs et malicieux, les ongles peints en rose nacré, et des pulls en mohair que l’on a envie de caresser. Pour moi, ce sont les sœurs imaginaires de la vieille tante de Weronika, dans La double vie de Véronique de Kieslowski. Celle qui aime écouter les histoires de fesses de sa nièce, et rédige son testament. Leur présence dans mon wagon est bon signe. N’oublions pas que je pars pour la Pologne dans l’espoir de retrouver un peu du parfum des histoires de mon cinéaste préféré.

5h35 séparent Berlin de Varsovie en train express. Pour l’instant, sur ma route, il n’y a rien à voir, à part la neige… et soudain, féérique, un troupeau de biches paisiblement installé dans un champ immaculé.

Ce voyage en train à travers la Pologne enneigée me paraît bien moderne et européen, avec sa voiture-bar style Ikea et ses clients allemands qui parlent trop fort. J’entends qu’ils sont en route pour Moscou. Ils doivent donc prendre un autre train à Varsovie. Je me demande s’ils vont s’époumoner comme ça jusqu’à la Place Rouge… Mais, tout moderne qu’il soit, ce voyage évoque aussi vivement un autre train, un autre temps. Si je fais abstraction du bruit, comment pourrais-je ne pas penser aux convois de la mort qui emportaient leurs victimes sur ces routes plates et blanches, de l’Allemagne à la Pologne? Ce paysage que je contemple de mon agréable train-express, Juifs, résistants et autres cibles de l’horreur nazi, devaient le regarder défiler depuis les wagons à bétail où on les tenait enfermés. Y penser aujourd’hui est cauchemardesque. Le père de mon oncle Jacques, juif Polonais, partit ainsi malgré lui pour Riga…

Je ferme les yeux. Je suis résolue à ne pas visiter Auschwitz, qui se trouve tout près de Cracovie. Sans doute les lieux de mémoire sont-ils extrêmement importants. Mais combien de touristes voyeurs entrent dans ces sanctuaires, comme on monte dans un train-fantôme de fête foraine?

En première classe, la jeunesse dorée s’amuse en chapka de vison, en cheveux décolorés et en appareil photo digital dernier cri. Nous arrivons à Poznan. Il n’est que seize heures, la nuit va tomber, les petites lumières s’allument aux fenêtres des maisons de la ville…

17H28 : De retour dans mon compartiment, je me retrouve avec une famille d’origine turque qui gave leur petite fille de Kentucky Fried Chicken, de pop-corn et de snickers. Le père est obèse, son polo orange souligne sa graisse qui tressaute à chaque vibration du train… comme je plains la petite, encore mignonne et délicate, d’être vouée à arborer bientôt les formes pleines de son papa qui arrose son repas d’Ice Tea bien sucré…

19H50 : Varsovie! Je me suis fait arnaquer par un chauffeur de taxi qui m’a soutiré 40 zlotys (10 euros) pour me conduire dans la vieille ville, alors que c’est le prix depuis l’aéroport Frédéric Chopin, en dehors de la ville. Je peste en mangeant des pierogis à la choucroute et aux champignons, comme recommandé par Szymon, mon ami polonais de Berlin. Sur ses conseils, je suis chez « U Pana Michala »*, un adorable petit resto-bar que je vous recommande fermement dans la vieille ville. Ambiance bougies et prix imbattables : 20 zlotys (5 euros) pour un borsch (soupe claire de betterave) et des pierogis!

Lundi, je vous raconterai la suite de mes aventures polonaises… et où les pierogis ont fini dans cette belle histoire.

Les pierogis, spécialité polonaise. Photo volée à cette jeune fille qui ne blogue plus mais a de bonnes recettes…


* »U Pana Michała »
ul.Freta 4/6
00-227 Warszawa

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