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Vive la réclame

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Savignac, Pot-au-feu Maggi. 1960

Ceux qui me lisent souvent n’auraient sans doute jamais imaginé que je puisse donner un titre pareil à l’un de mes billets. Mais c’est la découverte d’un grand artiste de la publicité qui m’a fait basculer du côté obscur des forces libérales.

Mon amoureux se baladait hier, le nez au vent, dans Paris, et buta soudain dans un carton de vieux bouquins laissés au bon vouloir des passants. Il en rapporta un exemplaire d’un tout petit livre de poche (éditions Point Virgule, 1989) sentant le renfermé et les pages jaunies, Savignac, L’affiche de A à Z. Mon chéri berlinois venait de découvrir, émerveillé, la grâce enfantine du plus grand affichiste français, « et sans doute, en pesant bien les mots, le plus grand affichiste du monde », souligne Alain Weill dans sa préface.

L’affiche de A à Z, parce que Savignac, dans cet opus, commente ses affiches par un alphabet écrit à la main comme par un enfant pas sage : « Oeil : l’essentiel n’est pas de taper dans l’oeil du voisin, c’est de ne pas mettre le doigt dans le sien ». « Idée : le sel de l’affiche! C’est elle qui la rend vivante, communicative et quelquefois inoubliable. L’idée, c’est l’œuf de Colomb ».

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Savignac, Monsavon au lait. 1949

Je connaissais, comme tout le monde, la célèbre vache rose Monsavon, dont les pis fabriquent directement une savonnette au lait. Mais ce que livre minuscule m’a appris, c’est que Savignac, avec son trait qui rappelle les gribouillis d’enfants, ses couleurs primaires et sa bonne humeur flagrante, avait tout compris au pouvoir de l’image. Dans les années 60 déjà, le talent de Savignac annonçait – hélas – la simplification extrême du message publicitaire, nécessaire à tout bon matraquage médiatique.

Chez Savignac, en effet, le produit de l’annonceur est mis en avant, intégré complètement au processus graphique, et non rajouté à la dernière minute comme cela se faisait souvent encore dans les années 50. Le produit est roi, prend toute la place de l’affiche, l’être humain (le futur « consommateur ») devient un visage bonhomme et impossible à identifier : le visage de celui qui consommera bientôt en masse.

Mais là où les publicités actuelles cherchent à frapper des cibles toujours plus précises grâce aux nouveaux outils marketing, l’affiche de Savignac, elle, se contente de vendre un produit avec humour et légèreté. On sent que l’annonceur du temps de Savignac (des années 50 à 80) s’est laissé séduire par la force simple de ses dessins, et lui laisse une marge de manœuvre qui aujourd’hui paraît impensable. Par exemple ce boeuf Maggi coupé en deux, qui regarde son derrière cuire dans du bouillon avec délectation : l’affiche ferait bondir Brigitte Bardot et les mamans horrifiées pour les yeux de leurs bambins aujourd’hui. Et pourtant, elle est tout bonnement hilarante.

Pour moi, Savignac incarne véritablement la fraîcheur de l’humour français, sa bonhommie, son petit rire moqueur mais attendri sur les travers des autres, leurs absurdités, leurs bêtises enfantines. Je ne sais pas si ce petit livre délicieux est encore en vente, mais si c’est le cas, je vous le recommande…

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Contes berlinois Acte II : Trabi-Safari

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Un tout petit matin berlinois. Il est cinq heures trente, Berlin ne s’éveille pas tout à fait. Cette ville de fêtards dort jusqu’à midi, boutiques et cafés compris.

Je me suis réveillée tôt, pour satisfaire mes pulsions d’écriture. Sur mon vélo miniature, je me promène dans la ville, émerveillée de passer sous la célèbre porte de Brandebourg sans l’ombre d’un seul touriste, de pouvoir admirer les restes du Mur sur fond de pépiements d’oiseaux. Je suis toute seule dans la ville immense. L’une des plus grandes villes d’Europe, étirée comme une gigantesque pâte à tarte, qui fait huit fois la taille de Paris…

En remontant du quartier de Mitte vers celui de Kreuzberg, on passe devant non loin du Reichstag, du Mur, de Checkpoint Charlie, de la porte de Brandebourg. Tous ces lieux hautement touristiques sont généralement, au mois de mai, saturés de cars de touristes et de marchands de cochonneries en plastique à la sauvette. Mais pas à 5h30 du matin… C’est là que ces endroits de la ville reprennent leur dimension historique et leur poésie. Dans la lumière rose de l’aube.

Je pédale tranquillement, je sifflote, prenant des photos à la volée avec mon téléphone portable, pour garder une trace intime de ce silence urbain. Et puis tout à coup, j’aperçois un parking désert où ne sont garées que des Trabant, ces petites voitures fabriquées pour l’Allemagne de l’Est au temps du Mur de Berlin. Il s’agit du point de départ et de location du Trabi-Safari, une visite de guidée que les touristes effectuent au volant d’une de ces petites voitures. C’est évidemment un peu kitsch, un peu nul, et cela participe à l' »Ostalgie », cette tendance à exploiter les attributs culturels de l’ex-RDA pour en faire des objets de consommation purs. L’Ostalgie est une tendance qui a été fortement soutenue par le succès (mérité tout de même) du film Goodbye Lenin.

Mais là, baignant dans l’aube tiède de printemps, toutes enveloppées de cette lumière mystérieuse, les petites Trabis avaient l’air désolé. Comme abandonnées par les touristes ingrats, sur leur place de parking. Si les voitures n’avaient pas été peintes dans des couleurs improbables, si elles n’avaient pas porté le logo « Trabi-Safari », on se serait cru en RDA. Quand les Trabants étaient les seules voitures autorisées à rouler dans le pays, et que les rues étaient vides. Vides de joie populaire, vides de liberté. Je les ai prises en photo pour vous les montrer : n’ont-elle pas l’air triste?

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Adieu, dit le renard

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Je le disais encore il y a deux jours : nos vies sont des romans. Il semblerait même qu’à Berlin, ce soit une constante. La littérature traverse mon existence plus que jamais dans cette cité surprenante.

Sur le scooter-fidèle destrier de mon héros kaurismakien, un jour, j’ai rencontré un renard. Il filait sous le métro aérien, l’air de rien, le museau fier et la queue touffue, vers deux heures du matin. C’était à Kottbusser Tor, un lieu de Berlin plus réputé pour ses héroïnomanes que pour sa faune forestière. Émerveillée, je l’ai regardé sautiller entre les bagnoles et les feux rouges. Un renard des villes, tout ce qu’il y a de plus chic.

Hier encore, nous rentrions d’un débat ennuyeux entre Harun Farocki (cinéaste et vidéaste allemand), un critique de cinéma autrichien, et un critique d’art, dans une galerie du centre de Berlin. Les phares du scooter surprirent soudain un adorable renard, en flagrant délit de promenade citadine.

« Qu’est-ce que ça signifie, que nous rencontrions toujours des renards ensemble? » ai-je demandé à mon Kaurismaki.

« Ainsi le Petit Prince apprivoisa le renard », répondit-il en allemand.

Bref, on ne voit bien qu’avec le coeur. L’essentiel est invisible pour les yeux.

On a redémarré.

Le lendemain, je raconte à Madame de… l’étrange présence des renards à Berlin. Je m’extasie sur la beauté de leur silhouette, de leur grâce sauvage.

« Ouais, ça file quand même la rage, ces saloperies-là, conclut Madame de… « Ils ont bouffé mon lapin à Villiers-sur-Orge quand j’avais cinq ans. Je les hais. Et puis, ton histoire du Petit Prince, là… ça ne serait pas plutôt Rox et Rouky? »

Il y a des jours, comme ça, où votre meilleure amie n’a pas l’âme d’une grande lectrice.

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