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Artiste en voie de guérison

Michelle Obama et Hillary Clinton : fille noire, fille blanche…

Comme vous le saviez, en pleine Semaine Sainte, je suis moi aussi descendue aux Enfers : j’étais interdite de lecture pendant sept longs jours. Je le rappelle, cette prohibition fait partie du programme de guérison de ma créativité, orchestré par Julia Cameron, l’auteur du livre culte The artist’s way, qui aide les artistes à se « débloquer ».

Disons-le, pendant cette semaine sans livre, ni journal, ni magazine, j’ai débloqué tout court, comme je vous le racontais deux billets plus tôt.

L’interdiction de lire est censée pousser l’artiste bloqué à se concentrer sur l’observation du monde extérieur. Trop souvent, nous plongeons dans la lecture pour échapper aux crasses du métro, aux conversations insupportables de vos collègues à l’heure du déjeuner, etc. Julia Cameron veut que nous affrontions cet univers dégueulasse qui est le nôtre, que nous posions notre Monde et que nous regardions comment le comportement étonnant de l’Homme parmi les autres animaux. L’artiste, un temps débarrassé de la pulsion de lire, devient anthropologue.

Oui, j’ai regardé autour de moi, j’ai écouté de la musique, rêvé, regardé par la fenêtre du train, observé des scènes surprenantes dans le métro. Par exemple, cette femme noire, rondement serrée dans un petit manteau à carreaux de couleur, qui riait sous cape en regardant la couverture du magazine Spiegel en attendant sa rame. Appuyée légèrement, comme un oiseau, contre le kiosque à journaux, elle se poilait en cachette, devant le dessin d’un tank chinois menaçant un jeune homme à lunettes qui consulte Google sur son ordinateur portable. « La Chine contre Google », titrait le magazine. La petite dame riait à en perdre le souffle, mais silencieusement. Je ne pouvais me détacher d’elle, son hilarité était communicative, mais je ne savais pas ce qui lui plaisait tant dans cette couverture du Spiegel. Que se passe-t-il dans la tête de cette femme? Aussitôt, je dégainais mon petit carnet et me mis à écrire.

Si l’arrêt forcé de la lecture pendant une semaine m’a fait du bien, je n’en ai pas moins célébré mon retour à la vie normale comme si je venais d’avoir mon bac. Je me suis jetée sur Black Girl/White Girl* (Fille noire fille blanche) de Joyce Carol Oates, dont j’avais dû interrompre la lecture.

Joyce Carol Oates

Dois-je redire tout le bien que je pense de cette auteur? Après la découverte de Blonde, j’avais peur d’être déçue. La rencontre avec une écriture est rare, il ne faut pas la gâcher. Black Girl/White Girl ne m’a tout d’abord pas happée comme Blonde.

C’est l’histoire d’une jeune étudiante qui, dans les années 70, partage sa chambre de college avec une jeune Afro-américaine boursière appelée Minette Swift. Genna, la narratrice, a pour père un activiste célèbre, un avocat marxiste qui défendit les pacifistes de la Guerre du Vietnam, et trempa dans des affaires louches de terrorisme d’extrême-gauche. Minette, elle, est la fille d’un révérend qui anime une église rigide et sectaire à l’américaine, le Temple Vale. Genna et Minette seront chacune, à leur façon, victime de leurs lignages.

Genna éprouve une culpabilité angoissante à l’égard du peuple afro-américain. La fille blanche cherche l’absolution dans la soumission totale à Minette, la fille noire. Mais Minette, elle, rejette toute tentative d’approche.  J.C. Oates dresse un portrait très fin des Etats-Unis à la fin de la guerre du Vietnam. Martin Luther King, Malcolm X et Angela Davis ont laissé leurs traces dans la société américaine, révélant la force du peuple Afro-américain et les injustices insupportables à l’égard des Noirs. Portrait de l’Amérique nouvellement imprégnée de pensée de gauche, portrait de la culpabilité justifiée (mais maladive) du Blanc face au Noir. Genna, dix-huit ans seulement, porte la marque du péché des siens.

C’est dans les toutes dernières pages que le roman de Oates prend tout son sens. L’auteur nous retourne le cœur comme un gant de toilette. Une fin surprenante, inattendue, brillante. Il y a fort à parier que la dernière phrase du roman vous brisera le cœur, comme elle a brisé le mien.

Que vais-je lire de J.C. Oates maintenant? Je n’ai que l’embarras du choix, parmi sa quarantaine de romans et ses dizaines de recueils de nouvelles… A la fin du Black Girl/White Girl, l’éditeur a eu le bon goût de publier une interview de l’auteur. A la question : « éprouvez-vous l’angoisse de la page blanche? » elle répond : « presque tous les jours ».

Il faudrait que je pense à recommander le livre de Julia Cameron à Joyce Carol Oates.

* Je lis toujours les auteurs anglophones en V.O., d’où l’accumulation de titres en anglais, sorry!

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Il faut bien rire un peu

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Pardon pour mon absence impardonnable,

Pardon pour tous mes silences,

Pardon pour ces photos,

Quand on travaille beaucoup, parfois, on perd la boule,

Ceux qui veulent bien me pardonner peuvent voter face aux mérites comparés de ces deux élégantes publicités photographiées par mes soins dans le métro berlinois (première photo) et parisien (seconde photo).

Je suis en plein tournage, montage, écriture, blablablabla, et non en vacances comme l’insinuait malicieusement notre amie Cécile … :-)

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Vladimir à la porte d’or

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Miami? Non, Paris. (Photo personnelle)

Paris, rue Marbeuf dans le 8e arrondissement, 16 heures. J’ai rendez-vous chez le médecin. Pas ma faute, si ma gynéco a choisi d’établir son cabinet dans le quartier le plus huppé-friqué de Paname. Ma gynéco, c’est cette femme de soixante ans, dont l’œil perçant étincelle dans un visage délicieusement ridé. Elle enfonce toujours, dans son sourire de parisienne un peu cynique et souvent drôle, une longue et fine cigarette : « Vous fumez la même marque que moi », lui ai-je dit un jour. Elle leva un sourcil derrière ses lunettes, souffla la fumée, rit rauque : « C’est du joli ».

Bref, j’avais encore un peu de temps avant mon rendez-vous avec cette étonnante lady. Je m’assied en terrasse d’un café en face du cabinet. Une vision bling-bling digne des pires heures de la campagne de Nicolas Sarkozy m’aveugle : une porte cochère violemment badigeonnée de peinture dorée. A ma gauche, un type en baskets hurle dans un téléphone à l’encontre d’un type qui arrive bientôt en 4×4, portières claquant avec une douceur ouatée de bagnole de riche. Le bruit est dans le moteur, pas dans la carrosserie. A ma droite, un énorme hommes d’affaires douteuses beugle à son tour dans son portable, avant de s’allumer un barreau de chaise, dont la puanteur vient ternir le parfum délicat de mon café à 3 euros.

Je souffre. Grandement. Je m’empare du recueil de poèmes de Maïakovski que j’ai acheté la veille.

« Je sais

qu’une femme coûte son prix.

Mais bah!

en attendant,

qu’au lieu du chic des robes de Paris

je t’habille de fumée de tabac. »

(La flûte de vertèbres, II)

Je respire mieux. Toujours aveuglée par la porte dorée, je poursuis ma lecture.

« 150 000 000 est le nom de l’artisan de ce poème

Pour rythme, la balle.

Pour rime, le feu de maison en maison. »

(150 000 000)

Je me régale. L’envie me vient de tirer à boulets rouges, sur la façade rutilante en face de moi, sur les vitrines qui suintent du gras des dollars, sur les filles couleur UV en Gucci, qui squattent la terrasse en picorant une laitue allégée sans fibres.

Après mon rendez-vous médical, je fuis le quartier et m’engouffre dans le métro bondé. Un jeune boutonneux se lève pour céder sa place à une femme noire enceinte. Moche le type, et pourtant : soudain il m’apparut charmant, pour cette B-A de scout bien élevé. Je lis toujours mon Vladimir. Le boutonneux est dans mon dos. Il voit les lignes noires sur fond blanc :

« ASSEZ !

nous allons nous y mettre

si sans

nous

personne n’y pense. »

(La Quatrième Internationale).

Le boutonneux m’effleure l’épaule : « Sans indiscrétion, c’est quoi, ce que vous lisez? ». Il m’explique tout de go que ça correspond exactement à ce qu’il a en tête en ce moment. Un gros ras-le-bol général, en somme. Une bonne vraie colère populaire. Pas de quoi voter Arlette Laguillier – il me semble qu’on peut aimer Maïakovski sans voir rouge – mais tout de même. J’acquiesce.

Et maintenant

j’ai

envie d’écrire comme ça

à cause de

Maïa

kov

ski.

maiakovski

Vladimir Maïakosvki, A pleine voix, Anthologie poétique 1915-1930, Editions Poésie/Gallimard

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