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Les plumes de ces dames

L’écrivain et poète Sylvia Plath, en 1958

Sur ces pages, autrefois, j’ai dit que je n’aimais pas beaucoup les plumes féminines. Arbobo, un charmant lecteur (et très bon blogueur) me soupçonnait même de faire de mon blog un vaste ring pour des cat fights qui l’amusaient énormément.

Il se trouve qu’en ce temps-là, j’avais aussi une préférence nette pour les auteurs morts. Lectrice nécrophile et misogyne, en somme.

Depuis quelques temps – une petite année environ – j’ai changé d’avis. Ma nouvelle bibliothèque se peuple de ladies.

Les Américaines, psychologisantes, forcenées de la Méthode Actors’ Studio appliquée aux lettres, plongent dans la sombre « cave » intime des personnages, en arrachent des pépites de littérature dans une langue directe et authentique. Il y a Sylvia Plath, poète foudroyante, écorchée, qui semble préparer un suicide à chaque vers (mais parmi les poètes, ma préférée est une Russe, Marina Tsvétaïeva). Joyce Carol Oates est pour moi la plus prolifique et la plus bouleversante. Lire Blonde pour comprendre ce qu’est une femme. Et une actrice.

Les Asiatiques, délicates, précises ; elles aussi creusent le cœur des hommes, mais d’une manière moins frontale. La nature, omniprésente, envahit les pages ; la vie quotidienne est un art, la fabrication des gâteaux de la fête du Têt, la cuisson du riz gluant, les cigares du bar à putes d’Hanoï. Je pense à Dong Thu Huong surtout, mais il y aussi Mian Mian et Shan Sa dans une moindre mesure. Littérature de l’instant présent et de la toute petite chose infime qui réjouit le coeur. Lire Terre des Oublis et Au-delà des illusions.

Françaises… inclassables. L’amour des mots semble primer. L’amour de l’histoire pour l’histoire. C’est raconter qui compte. Cependant l’univers est social, plus affirmé peut-être que chez les autres. Un peu de cruauté est permise. Alice Ferney, Marie N’Diaye. Lire surtout Grâce et dénuement et Trois femmes puissantes.

Ces auteurs sont des femmes et parlent naturellement de la femme. Cet être dont le corps, le charme, le parfum furent vénérés par des siècles d’écrivains mâles au point de le déshumaniser, prend soudain une dimension vibrante sous la plume de toutes ces Ferney, Oates, Atwood, N’Diaye, etc. Débarrassées du corset de la beauté et de l’obligation de séduire, les protagonistes femmes de ces romans deviennent des monstres, des filles/mères/soeurs, des hommes, des héroïnes, des anti-héroïnes, bref des âmes en mouvement, mais jamais plus de simples objets d’adoration.

Si les auteurs du XIXe siècle avaient tout de même ouvert la voie (Tolstoï avec son Anna Karénine, Balzac, un peu, avec son Eugénie Grandet), il fallait attendre le XXe siècle et l’émancipation féminine, pour que la littérature se mette vraiment à raconter la vie intérieure de la femme. Aujourd’hui, la question ne se pose plus, les femmes écrivent et parlent d’elles-mêmes, comme n’importe quel auteur – sans oublier de parler de tout le reste, comme n’importe quelle auteur.

Mon amie Madame de… m’a offert Les femmes qui écrivent vivent dangereusement, un livre illustré de Laure Adler, Stefan Bollmann et Odile Demange. Bel ouvrage qui retrace l’histoire de la femme auteur, ses souffrances, ses combats et sa gloire.

Quelles sont vos auteurs préférées? Avez-vous envie de me faire découvrir quelqu’un?

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Artiste en voie de guérison

Michelle Obama et Hillary Clinton : fille noire, fille blanche…

Comme vous le saviez, en pleine Semaine Sainte, je suis moi aussi descendue aux Enfers : j’étais interdite de lecture pendant sept longs jours. Je le rappelle, cette prohibition fait partie du programme de guérison de ma créativité, orchestré par Julia Cameron, l’auteur du livre culte The artist’s way, qui aide les artistes à se « débloquer ».

Disons-le, pendant cette semaine sans livre, ni journal, ni magazine, j’ai débloqué tout court, comme je vous le racontais deux billets plus tôt.

L’interdiction de lire est censée pousser l’artiste bloqué à se concentrer sur l’observation du monde extérieur. Trop souvent, nous plongeons dans la lecture pour échapper aux crasses du métro, aux conversations insupportables de vos collègues à l’heure du déjeuner, etc. Julia Cameron veut que nous affrontions cet univers dégueulasse qui est le nôtre, que nous posions notre Monde et que nous regardions comment le comportement étonnant de l’Homme parmi les autres animaux. L’artiste, un temps débarrassé de la pulsion de lire, devient anthropologue.

Oui, j’ai regardé autour de moi, j’ai écouté de la musique, rêvé, regardé par la fenêtre du train, observé des scènes surprenantes dans le métro. Par exemple, cette femme noire, rondement serrée dans un petit manteau à carreaux de couleur, qui riait sous cape en regardant la couverture du magazine Spiegel en attendant sa rame. Appuyée légèrement, comme un oiseau, contre le kiosque à journaux, elle se poilait en cachette, devant le dessin d’un tank chinois menaçant un jeune homme à lunettes qui consulte Google sur son ordinateur portable. « La Chine contre Google », titrait le magazine. La petite dame riait à en perdre le souffle, mais silencieusement. Je ne pouvais me détacher d’elle, son hilarité était communicative, mais je ne savais pas ce qui lui plaisait tant dans cette couverture du Spiegel. Que se passe-t-il dans la tête de cette femme? Aussitôt, je dégainais mon petit carnet et me mis à écrire.

Si l’arrêt forcé de la lecture pendant une semaine m’a fait du bien, je n’en ai pas moins célébré mon retour à la vie normale comme si je venais d’avoir mon bac. Je me suis jetée sur Black Girl/White Girl* (Fille noire fille blanche) de Joyce Carol Oates, dont j’avais dû interrompre la lecture.

Joyce Carol Oates

Dois-je redire tout le bien que je pense de cette auteur? Après la découverte de Blonde, j’avais peur d’être déçue. La rencontre avec une écriture est rare, il ne faut pas la gâcher. Black Girl/White Girl ne m’a tout d’abord pas happée comme Blonde.

C’est l’histoire d’une jeune étudiante qui, dans les années 70, partage sa chambre de college avec une jeune Afro-américaine boursière appelée Minette Swift. Genna, la narratrice, a pour père un activiste célèbre, un avocat marxiste qui défendit les pacifistes de la Guerre du Vietnam, et trempa dans des affaires louches de terrorisme d’extrême-gauche. Minette, elle, est la fille d’un révérend qui anime une église rigide et sectaire à l’américaine, le Temple Vale. Genna et Minette seront chacune, à leur façon, victime de leurs lignages.

Genna éprouve une culpabilité angoissante à l’égard du peuple afro-américain. La fille blanche cherche l’absolution dans la soumission totale à Minette, la fille noire. Mais Minette, elle, rejette toute tentative d’approche.  J.C. Oates dresse un portrait très fin des Etats-Unis à la fin de la guerre du Vietnam. Martin Luther King, Malcolm X et Angela Davis ont laissé leurs traces dans la société américaine, révélant la force du peuple Afro-américain et les injustices insupportables à l’égard des Noirs. Portrait de l’Amérique nouvellement imprégnée de pensée de gauche, portrait de la culpabilité justifiée (mais maladive) du Blanc face au Noir. Genna, dix-huit ans seulement, porte la marque du péché des siens.

C’est dans les toutes dernières pages que le roman de Oates prend tout son sens. L’auteur nous retourne le cœur comme un gant de toilette. Une fin surprenante, inattendue, brillante. Il y a fort à parier que la dernière phrase du roman vous brisera le cœur, comme elle a brisé le mien.

Que vais-je lire de J.C. Oates maintenant? Je n’ai que l’embarras du choix, parmi sa quarantaine de romans et ses dizaines de recueils de nouvelles… A la fin du Black Girl/White Girl, l’éditeur a eu le bon goût de publier une interview de l’auteur. A la question : « éprouvez-vous l’angoisse de la page blanche? » elle répond : « presque tous les jours ».

Il faudrait que je pense à recommander le livre de Julia Cameron à Joyce Carol Oates.

* Je lis toujours les auteurs anglophones en V.O., d’où l’accumulation de titres en anglais, sorry!

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Norma Jean est vivante

La Berlinale est finie et Bal, le film de Semih Kaplanoğlu dont je vous faisais l’éloge, a gagné l’Ours d’Or. A très juste titre. Avec Werner Herzog dans le rôle de président du jury, ça ne pouvait pas rater de toute façon.

Sur tous les tapis rouges du monde, cependant, flotte une éternelle ombre blonde. Quelqu’un, un doux fantôme pâle à la moue d’enfant maquillée, semble toujours manquer, partout où l’on dit le mot de « star » et de « cinéma ». Elle incarnait le glamour hollywoodien et son chaos tout à la fois. Elle était la quintessence de… de quoi? de la « star » ultime? de la féminité? de la fragilité? de la sexualité?

J’ai acheté Blonde de Joyce Carol Oates à l’American Bookstore de Varsovie, en me disant que je jetais peut-être un peu mes zlotys par la fenêtre. Peuh! Oser raconter la vie de Marilyn Monroe sous forme de fiction? Pour qui se prend-elle, cette Joyce Carol?

– Ici, un petit interlude nostalgique explicatif. Je sais tout, ou presque, sur Marilyn Monroe (de son vrai nom Norma Jean Baker). A l’âge de 11 ans, la robe blanche volant sur la bouche d’aération a déclenché en moi une passion démente pour l’actrice américaine. Je voulais la même bouche (raté), les mêmes cheveux (raté), la même voix (je l’imite mieux que Didier Gustin). J’ai même appris l’anglais en regardant ses films. Bref, je l’adorais, j’ai lu plein de bios, je collectionnais ses photos, j’aimais sa tragédie en backstage sous sa beauté foudroyante, je voulais la sauver, je l’AIMAIS. –

Et me voilà à lire une fiction écrite sur une vie dont le pékin moyen croit connaître, comme moi, les moindres détails : les films, les hommes, le succès interplanétaire, les médicaments, l’enfance pathétique à l’orphelinat, le suicide.

Mais J.C. Oates plonge dans les entrailles de Norma Jean et nous invente/dévoile toutes les coulisses de sa vie intérieure. Au bout de dix lignes, déjà, on se fiche comme d’une guigne de savoir à quel point Oates brode, ou non, sur la vraie vie de Marilyn. Comment rendre de façon authentique une existence aussi publique, aussi fictionalisée de son vivant, sinon… en la contant de nouveau? Oates pénètre les tourments et les espoirs de Marilyn mieux que n’importe quel écrivain l’a fait avant elle, et nous raconte une histoire dont il est impossible de décrocher.

Oates est américaine et c’est tout à son honneur. Elle utilise à merveille deux des choses que nos amis d’Outre-Atlantique ont apporté au monde de l’art : le storytelling et l’Actors’ Studio. Dans son roman, il n’y a pas un mot de trop – c’est un roman-fleuve dont chaque remous est vital. La courbe narrative est parfaite, on pourrait presque l’adapter telle quelle au cinéma, s’il se trouvait une folle quelconque pour oser interpréter Marilyn. Voilà pour le storytelling.

Pour l’Actors’ Studio (technique de jeu d’acteur utilisée par Monroe dans les années 50, d’ailleurs), c’est en imaginant les moindres détails de la mémoire de Norma Jean, en fouillant dans les recoins sombres de son passé que Oates parvient à créer un personnage aux mille dimensions, à la fois star sublime de cinéma et petite-fille broyée, mère manquée et épouse chaotique, poète frustrée, actrice acharnée. Quasi-schizophrène, la Marilyn de Oates n’en est cependant jamais moins vivante et proche du lecteur. Un exploit.

Une langue presque inspirée des rythmes simples et répétitifs de la Bible soutient cette navigation à travers l’histoire d’Hollywood et des États-Unis dans les années 50, où se débat la frêle Marilyn. Elle ne sut pas user du sex power dont elle disposait pour survivre. Elle en mourut. Joyce Carol Oates nous livre le plus beau portrait qui soit du sex symbol made in USA, celui qui orne nos mugs et nos trousses à maquillage. Sans fard.

Norma Jean, ou Marilyn Monroe enfant

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