Gran Torino : une belle carrosserie

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Clint Eastwood dans « Gran Torino ».

Ah, Hollywood. Le Cinémascope. La vision western du monde. Les paysages américains majestueux qui se déploient en 16:9. Les acteurs imposants aux gueules de tueurs sur des corps massifs, membre d’une race aryenne ou massaï ultra-patriote, et prête à défendre la démocratie à coups de flingues en libre circulation. Dans ma répugnance pour le cinéma hollywoodien actuel, et son armada de clichés scénaristiques et émotionnels, un géant du genre attire tout de même mon attention. C’est Clint Eastwood.

Gran Torino, son dernier film, dans lequel il joue le rôle principal, pourrait être un de ces films très américains et pro-américains, vantant la pelouse du voisin et le 4×4 avec le chien, la famille qui mange des cornflakes en souriant et le pavillon de banlieue. Gran Torino n’est pas très loin de tout ça, avec son héros raciste qui a fait la guerre de Corée et se change en héros du quartier, tout en passant la tondeuse aux côtés de son labrador. Mais voilà un acteur et un réalisateur qui sait manipuler le cliché avec tellement de doigté, que le film en devient un vrai morceau de cinéma original, tout en restant dans la machine parfaitement huilée du blockbuster hollywoodien.

Clint Eastwood, l’ancien Inspecteur Harry, se moque du dirty personnage qui a fait son succès. Gros plans frisant le kitsch sur un visage tordu par la rage du justicier, mais aussi par la colère de se voir offrir un téléphone à grosses touches comme à un vieillard impotent par son propre fils. Ingénieux montage de séquences palpitantes, dans la tradition du film de flics des années 70, et de moments d’humour cynique jouant avec le stéréotype du mâle viril, au langage ordurier mais cependant droit dans ses bottes dans toutes les situations. C’est ainsi que Clint Eastwood règle ses comptes aux membres désagréables d’un gang, juste avant d’aller se faire couper les cheveux chez son barbier, qu’il agonise d’injures avec tendresse. Un peu Gabin, un peu John Wayne, Clint Eastwood est un acteur écrasant, bourru, viril, drôle, et bougrement talentueux. Un vrai mec, comme en voit peu au cinéma. Et en plus, ça le fait rire.

La réalisation est passionnante. Les plans serrent l’action, jouent avec les clichés du film policier, et servent l’humour ironique et tendre des dialogues sur un plateau d’argent. On retrouve la route jalonnée d’archétypes du cinéma américain, proche d’un parcours biblique : le péché originel (une vieille dette pas réglée, une vieille blessure), le purgatoire (se prendre une claque par la vie), le changement (apprendre à ouvrir les yeux sur sa faute) et le sacrifice final (la clef du pardon et du paradis). Mais à l’intérieur de cette mécanique se joue tout autre chose. Le constat terrible de Gran Torino, c’est celui que le film fait sur le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, saturé de violence quotidienne et d’incapacité à briser le cercle vicieux.

21 Commentaires

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21 réponses à “Gran Torino : une belle carrosserie

  1. « Plus on prête attention aux coïncidences, plus elles se produisent. » Vladimir Nabokov

  2. Fafa

    Depuis chasseur blanc coeur noir je vais voir les Clint Eastwood sans même consulter le pitch.

    Petit bémol pour Million Dollar Baby (je ne supporte pas la boxe) que j’ai vu en DVD, et un grand moment de solitude pour les lettres d’Iwo Jima où là je me suis pas sentie concernée du tout, ni touchée ni rien quelques heures d’incompréhension totale donc.

  3. @ Mohamed : en effet! En même temps, c’est un peu LE « grand film » du moment, à Paris ou à Berlin, non?

    @ Fafa : je n’ai pas vu « Million dollar » parce que comme toi, la boxe me laisse de marbre. Mais comme je comprends ton affection folle pour Clint Eastwood! Sacré bonhomme de cinéma.

  4. Je suis entièrement d’accord avec ton analyse du film. J’y ai aussi vu comme un testament, même si Clint a annoncé d’autres projets. Un réalisateur décidément brillant et passionnant.

  5. sophie

    Je vais aller le voir, moi aussi je vais systématiquement voir ses films sans même consulter les critiques. Ce type a tout fait, de l’acteur en passant pas le scénario, la réalisation, la production … et la musique des certains de ses films ! C’est en plus de tout cela un jazzman confirmé et un homme incroyablement séduisant … arf ! On se sent tout petit quelques fois …

  6. Grand film, grand acteur. J’abonde dans ton sens ! :)
    J’y suis allée à contre-coeur, voulant faire plaisir, après avoir été particulièrement déçue par l’Echange. J’avais trouvé ce film trop cash, sans le droit à autre chose que ce que montre l’image. Grand bien m’en a fait.

    Es tu allée voir Mascarades ? Un petit bijou de film, un morceau de nougat dans une pochette surprise.
    http://kellouza.wordpress.com/2008/12/28/allez-voir-mascarades-de-lyes-salem-cest-un-ordre-culturel/

    Klz

  7. Je vais aller voir c’est certain
    la seule chose de regretable chez clint c’est le fait qu’il ait soutenu bush mais on oublie
    et hop gran turino

  8. @ Fashion : on peut effectivement y voir l’oeuvre d’un homme qui se sent près de la mort, mais j’espère qu’il te donnera tort en continuant à faire du grand cinéma pendant des années encore! :-)

    @ Sophie : c’est vrai qu’il a tout fait. Et oui, il est bigrement séduisant… il me fait tomber dans « Honkytonk man », l’as-tu vu?

    @ Kellouza : je n’ai pas vu l’Echange car j’avoue que la Jolie me file des allergies. Quant à Mascarades je ne l’ai pas vu, car maintenant j’habite à Berlin et il est difficile de voir du cinéma d’auteur français ou algérien ;-) mais je le note et si je repasse à Paris, j’irai sur tes bons conseils, madame!

    @ Stéphane : http://www.lqj.ch/content/index.php?option=com_content&task=view&id=9579
    Il a soutenu Bush? Il a plutôt juste voté pour lui. Parce que l’ami Eastwood est un républicain. Cet article intéressant montre à quel point le personnage, de loin, est contradictoire. Eastwood vote républicain, mais se considère libertarien, et s’est opposé à la guerre en Irak « parce qu’on ne reçoit pas la démocratie en une nuit » (je le cite, et c’est joliment dit).
    De toute façon, « Gran Torino » n’est clairement pas un film de gauche. Je souligne dans mon billet son aspect profondément imprégné de morale chrétienne associé à une défense acharnée des valeurs traditionnelles américaines (la cellule familiale, la propriété privée, etc.)
    Mais pourquoi pas? Film de gauche, film de droite, est-ce que ces termes ont du sens? Non. Un film c’est du cinéma, c’est tout, et Eastwood sait en faire. Et brillamment. Alors, qu’il ait voté Bush, n’est pas une raison pour le boycotter. Et qu’il n’ait pas voté Obama ne fait pas de lui un raciste, ni un fanatique du libre-échange…
    Bon ben, va voir le film hein. :-)

  9. Fafa

    ha oui j’allais monter sur mon grand cheval avant de lire la fin de ta réponse Magda … pourquoi un film doit il être de droite ou de gauche ?

    En ce cas où classer « la nuit au musée » chef d’œuvre post moderne Ben Stillerien ; E.T film de gauche parce que prônant la tolérance vis à vis des extra terrestres ou plutôt de droite parce que prônant l’utilisation du téléphone maison monopolisé par France Telecom ? RHA ! ayé je suis enervée.

  10. attention magda
    je ne boycotte pas clint
    au contraire j’adore ses films
    et ce qu’il incarne
    je ne sais pas si j’arriverai à son age
    et il incarne pas mal de classe

    je ne fais pas parti des boycotteurs

    c’est juste étonnant
    je te dirai ce que j’en pense quand je laurai vu

  11. sophie

    @ Magda : oui, il me fait tomber aussi. Même dans « Sur la route de Madisson » où il n’est plus trés trés jeune d’ailleurs, je tombe aussi … j’ai vu presque tout ses films même les navets (et il y en a) juste pour sa belle gueule … vous avez le droit de me frapper, mais pas trop fort ! ;)

  12. Magda, à Berlin ? Ah… Va falloir attendre la sortie en DVD dans ce cas. Je ne pense pas qu’il passe encore à Paris.

    A noter sa nomination au César du meilleur premier film.

    C’est vrai que la Jolie est assez urticante quand on y pense…

  13. @ fafa : héhéhéhé j’ai beaucoup aimé l’exemple E.T. … pas encore vu le film de Ben Stiller mais j’en rêve, je dois le louer d’urgence.

    @ stéphane : alors alors, tu l’as lu?

    @ sophie : je ne te frappe pas, je ne te comprends que trop. Les vieux acteurs sont parfois totalement craquants. Prends l’ami Connery…

    @ kellouza : ah en plus c’est un premier film? classe!

  14. j’ai lu j’ai pas vu encore le film
    j’ai lu le quotidien jurassien
    je suis d’acc

    mais en france c’est pareil
    on peut cotoyer des bons gens de droite comme ça
    hahah
    on en connait en plus
    c’est pas un probleme
    on s’en fiche
    c’est juste drole

  15. @ Stéphane : tu vas aller le voir, le film? tu me diras.
    Ouais, ils sont vraiment partout, ces gens de droite, ouh là… non je blague, allez. Pardon les amis. :-)

  16. Excellent billet! j’ai adoré ce film, je crois que c’est l’un de ses meilleurs, ou du moins celui que j’ai préféré! Quel talent!

  17. @ Choupynette : n’est-ce pas, il est fou ce Clint !

  18. Fafa

    Ben Stiller est mon idole. Lui et sa bande sont la post modernittude incarnée. ;)

  19. @ fafa : ah bon alors il faut vraiment que je le loue, bordel… :-)

  20. Bonjour Cequetulis,

    Merci pour article que j’ai beaucoup apprécié

    J’ai crée un blog pour tenter de donner une lecture approndie de ce film « grandiose » …. http://le-cinema-autrement .over-blog.com
    Pour l’instant, seul GRAN TORINO est présent dans ce blog. Il a aussi plusieurs musique de films (+ de 50).

    Merci.
    André

  21. Vu Gran Torino, enfin.
    Me rappelle chronique dans ce que tu lis.
    Veux juste dire que ce film est mignon, un brin neuneu (disons moralisateur) mais très linéaire et moins brillant que Million dollar baby ou Mystic river, pour parler des récents.

    Le lien caricaturant les Dirty Harry est très juste, j’y pensais, même si je trouve que ça reprend trop Unforgiven, même si c’est pour tirer la tangeante.

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