66 applaudissements

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Soixante-six larmes, soixante-six rires, soixante-six étonnements devant Buffalo 66 (1988), un film de Vincent Gallo avec Vincent Gallo. Et Christina Ricci. Est-il permis d’être aussi créatif? Gallo écrit, interprète, filme, chante, joue de la guitare. Il promène, dans ce bijou absolu de film, son extraordinaire talent d’acteur et ses yeux perçants.

Sur le fil très ténu d’une toute petite histoire (un type sort de prison, et enlève une jeune fille pour faire croire à ses parents qu’il était marié, et occupé pendant toutes ces années), Vincent Gallo écrit un personnage énorme. Un homme plein de tics, de peurs, d’explosions et de recroquevillements, obsédé par la propreté et haï par ses parents. C’est l’enfant de la middle-class américaine, né sous pavillon moche, empli des sons des matches de base-ball. Dans cette ville hideuse, Buffalo, au trou du cul des Etats-Unis, Gallo travaille ses personnages et ses atmosphères comme de la dentelle de Calais.

Beau comme un top-model, il se laisse cependant disparaître sous la mélancolie profonde de son personnage brutalisé par la vie. On en oublie son corps de mannequin, son visage acéré et ses yeux éblouissants, pour ne plus voir qu’un homme au cœur de petit garçon élevé sans aucun amour. Christina Ricci incarne avec un naturel gracieux une girl-next-door à l’âme de sainte enfant. Ce couple improbable qui ne se touche pas – lui, l’homme, ne veut pas être touché – raconte l’amour bien mieux que toutes les Love Story. Pourquoi tu m’aimes? J’en sais rien. Quant à Anjelica Huston en mère obsédée par le base-ball, elle est parfaite et détestable, nous faisant rire couleur jaune foie.

Gallo ose le kitsch, dans des scènes face caméra entourées de flou, illuminations momentanées de personnages banals, qui en deviennent des stars aux teintes de gloire passée. Le père de famille indigne qui tout à coup chante sa rengaine de crooner devient Frank Sinatra, la jeune fille trop ronde et mal habillée, qui danse des claquettes dans le bowling, est Ginger Rogers (voir l’extrait ici). Il se permet tout, le Gallo, et ça pétille au visage du spectateur étonné de tant d’audace. Division de l’écran, flash-backs bizarres… tout passe! Quel plaisir de rencontrer un cinéaste qui sait jouer aussi bien avec l’image et ses codes!

Pourquoi ai-je attendu si longtemps avant de voir ce film? En éteignant le vidéoprojecteur, et après avoir pleuré comme une Madeleine touchée par la grâce, je me suis réjouie. Le divin enfant de la réalisation, génération 2000, était né, et je n’avais pas célébré son avènement. Mais mieux vaut tard que jamais. The Brown Bunny, qu’il réalisa en 2004, est un des films qui m’avait le plus laissée perplexe de toute mon expérience cinéphile. Force est d’admettre que je ne l’ai jamais oublié, et qu’il m’a fait une impression remarquablement déroutante.

Allez Vincent, fais-nous vite un autre film, au lieu de poser dans les pubs H&Merde…

14 Commentaires

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14 réponses à “66 applaudissements

  1. bookomaton

    Ah, cette scène, Christina Ricci en schtroumpfette à claquettes… Ou Vincent Gallo grelottant dans son petit blouson, dans la grisaille… Un moment de grâce. Ce film est en effet superbe, ton billet lui rend bien honneur.

  2. Hum, Magda, je vous crois atteinte d’une Galloïte aigüe ! Il faut dire, le personnage ne laisse pas indifférent. Je ne connais pas le film que vous citez, mais je me demande quelle part son film contient d’autobiographie qui ne s’avoue pas.

  3. @ Gicerilla : complètement, je suis en Galloïte aiguë et je m’y complais… dommage qu’il n’ait pas fait plus de films, j’aurais aimé m’en gargariser…
    Ah, ça, pour la part d’autobiographie, je sais que la famille affreuse du héros est proche des origines sociales de Gallo, mais c’est tout. Et qu’il vient de Buffalo, aussi. De toute façon, écrire est purement autobiographique, non? Une manière tout simplement plus vive et plus belle de réarranger les souvenirs et les bribes d’inconscient…

  4. Bon, eh bien en voilà un dont je ne te disputerai pas les faveurs…

  5. Il y a un album aussi, non ? Je crois que j’ai ça, vincent gallo qui chante…

  6. Tu me donnes drôlement envie de le voir!

  7. atelierk

    Et pourquoi moi je ne l’ai pas vu ? Après avoir lu ton article je n’ai qu’une envie, me le procurer en DVD et le regarder! Sauf qu’il me faudra attendre de quitter l’Irak…
    Xenia

  8. Voilà que ça te reprend, Gallo par ci, Gallo par là. Moi qui ne savais pas par quel bout prendre ce bonhomme (en tout bien tout honneur, je ne voudrais pas que tu te fâches) voici une première piste, j’espère aussi lumineuse que ton point de vue vraisemblablement pas très objectif…
    Tu es sous emprise et personne n’est dupe : malgré tous tes efforts, tu n’arrives pas à oublier « son corps de mannequin, son visage acéré et ses yeux éblouissants » ! Belle journée.

  9. @ Cécile : je sais… héhé… je me le garde, na.

    @ Ficelle : tu as ça? pourtant il n’est pas facile à trouver. Oui, Gallo est chanteur et musicien aussi… et plutôt très bon…

    @ Maude : n’hésite pas! Un bijou. Je serai curieuse d’avoir ton avis ou ta critique sur ton blog.

    @ Xenia : ça ne saurait tarder apparemment! Ahmad m’a dit il y a deux jours que la projection était jeudi… après-demain donc?

    @ Jennifer : ohhhhhh tu mets mon honnêteté de blogueuse en doute? :-)
    Au début du film, le personnage incarné par Gallo est si odieux que je t’assure qu’on en oublie son charme – dévastateur à mon avis – mais il est vrai qu’à la fin du film, s’il m’avait demandé ma main, je l’aurais traîné jusqu’à la première chapelle de Las Vegas.

    • Voilà c’est fait, vu B66. Au début, je t’avoue avoir eu un peu peur devant autant de crasse, le réel illustrant déjà à merveille la maxime selon laquelle la vie n’est pas Disneyland (pixarland). En midinette que je suis, j’ai toujours espoir que les choses s’arrangent, prennent une trajectoire heureuse et voilà un voeu exaucé… plus d’une heure de cheveux gras, d’écoeurement, de révolte, de pitié, de « c’est pas possible », de bidon tout gras et pas très bronzé, de démarche d’adolescent bourré de complexes, de tentative d’approche renvoyée dans les filets, d’une violence compréhensible…. et hop un petit rectangle flash back et la situation se retourne, on se régale de cookie en forme de coeur. Le fond de la piscine a été atteint et il est enfin possible de rebondir. Et même une fois le film terminé, le bonheur et le soulagement restent ancrés car ils ont été attendus et mérités. Alors je comprends pour Gallo sauf qu’il faudrait lui offrir un peu de shampoing à ce garçon… et une nouvelle paire de pompes !

      • Ah Jennifer, ça me fait plaisir ce que tu me dis… mais je t’assure que dans la vie, notre beau Gallo n’a pas les cheveux aussi crades (du moins pas à ce que j’ai vu de lui au naturel dans les journaux par exemple). Bidon tout gras? meuh non. Il a le bidon en bois, le Vincent, il me semble. Tu parles sans doute du petit bidon de la Miss Ricci.
        Tu fais une belle analyse du film, je trouve. « cookie en forme de coeur »… au parfum de coeur de brisé, ajouterai-je même.
        Je suis très heureuse que tu l’aies vu. Et que tu aies su l’apprécier en fin gourmet cinéphile!

  10. Miss Ricci est pour moi intouchable, je ne me permettrais pas une quelconque remarque sur un cheveu de travers la concernant. Pour le bidon gras et blanc marbre, je parle de Goon qui devient Rocky, le meilleur copain… et dont on voit les plans « bidoche » les plus crus que je n’aies jamais vu au cinoch (sur les plages niçoises en revanche…). Je te souhaite une belle journée miss berliner et à bientôt.

    • pourtant, si tu savais ce que dit Gallo de Ricci! d’après Fafa, elle s’est d’ailleurs taillé une belle réputation d’actrice désagréable, puisque même Depp lui casse du sucre sur le dos depuis « Sleepy Hollow ». Peu importe, je la trouve formidable en tant que comédienne en tout cas.
      Tu as raison, Goon-Rocky est épouvantablement grassouillet, et les plans sont effectivement volontairement frontaux…
      Bonne journée à toi aussi!

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