Berlin-Warszawa, train express

Voiture-bar des trains polonais. Photo volée ici.

Me revoilà, amis lecteurs! et pour la nouvelle année, je vous propose une série… polonaise. Le carnet de bord de mon voyage, rien que ça.

Lundi 4 janvier 2010. Train express Berlin-Varsovie.

16H : J’ai attendu le train sur le quai de la gare centrale de Berlin pendant plus de 35 minutes, neige oblige. Mais mon excitation d’aller en Pologne ne faiblit pas. Par la fenêtre du train, tout est blanc et brun, neige et bois nu des arbres sans feuilles. Dans la voiture-bar, en face de moi, une Polonaise d’environ cinquante ans boit une bière, seule. Blonde et vêtue d’une éclatante veste fuschia, elle est une héroïne Technicolor dans ce monde en noir et blanc.

Je partage mon compartiment avec un Allemand très « comme-il-faut » qui me fait penser à un prof de fac et deux petites vieilles. L’homme parle aussi le polonais et, prévenant, aide les vieilles dames à mettre leurs bagages sur l’étagère. Les deux grand-mères me font rire. Elles portent des manteaux en vison, couleur caramel-clair et caramel-brun. Elles ont les cheveux gris et coupés courts, des yeux clairs et malicieux, les ongles peints en rose nacré, et des pulls en mohair que l’on a envie de caresser. Pour moi, ce sont les sœurs imaginaires de la vieille tante de Weronika, dans La double vie de Véronique de Kieslowski. Celle qui aime écouter les histoires de fesses de sa nièce, et rédige son testament. Leur présence dans mon wagon est bon signe. N’oublions pas que je pars pour la Pologne dans l’espoir de retrouver un peu du parfum des histoires de mon cinéaste préféré.

5h35 séparent Berlin de Varsovie en train express. Pour l’instant, sur ma route, il n’y a rien à voir, à part la neige… et soudain, féérique, un troupeau de biches paisiblement installé dans un champ immaculé.

Ce voyage en train à travers la Pologne enneigée me paraît bien moderne et européen, avec sa voiture-bar style Ikea et ses clients allemands qui parlent trop fort. J’entends qu’ils sont en route pour Moscou. Ils doivent donc prendre un autre train à Varsovie. Je me demande s’ils vont s’époumoner comme ça jusqu’à la Place Rouge… Mais, tout moderne qu’il soit, ce voyage évoque aussi vivement un autre train, un autre temps. Si je fais abstraction du bruit, comment pourrais-je ne pas penser aux convois de la mort qui emportaient leurs victimes sur ces routes plates et blanches, de l’Allemagne à la Pologne? Ce paysage que je contemple de mon agréable train-express, Juifs, résistants et autres cibles de l’horreur nazi, devaient le regarder défiler depuis les wagons à bétail où on les tenait enfermés. Y penser aujourd’hui est cauchemardesque. Le père de mon oncle Jacques, juif Polonais, partit ainsi malgré lui pour Riga…

Je ferme les yeux. Je suis résolue à ne pas visiter Auschwitz, qui se trouve tout près de Cracovie. Sans doute les lieux de mémoire sont-ils extrêmement importants. Mais combien de touristes voyeurs entrent dans ces sanctuaires, comme on monte dans un train-fantôme de fête foraine?

En première classe, la jeunesse dorée s’amuse en chapka de vison, en cheveux décolorés et en appareil photo digital dernier cri. Nous arrivons à Poznan. Il n’est que seize heures, la nuit va tomber, les petites lumières s’allument aux fenêtres des maisons de la ville…

17H28 : De retour dans mon compartiment, je me retrouve avec une famille d’origine turque qui gave leur petite fille de Kentucky Fried Chicken, de pop-corn et de snickers. Le père est obèse, son polo orange souligne sa graisse qui tressaute à chaque vibration du train… comme je plains la petite, encore mignonne et délicate, d’être vouée à arborer bientôt les formes pleines de son papa qui arrose son repas d’Ice Tea bien sucré…

19H50 : Varsovie! Je me suis fait arnaquer par un chauffeur de taxi qui m’a soutiré 40 zlotys (10 euros) pour me conduire dans la vieille ville, alors que c’est le prix depuis l’aéroport Frédéric Chopin, en dehors de la ville. Je peste en mangeant des pierogis à la choucroute et aux champignons, comme recommandé par Szymon, mon ami polonais de Berlin. Sur ses conseils, je suis chez « U Pana Michala »*, un adorable petit resto-bar que je vous recommande fermement dans la vieille ville. Ambiance bougies et prix imbattables : 20 zlotys (5 euros) pour un borsch (soupe claire de betterave) et des pierogis!

Lundi, je vous raconterai la suite de mes aventures polonaises… et où les pierogis ont fini dans cette belle histoire.

Les pierogis, spécialité polonaise. Photo volée à cette jeune fille qui ne blogue plus mais a de bonnes recettes…


* »U Pana Michała »
ul.Freta 4/6
00-227 Warszawa

18 Commentaires

Classé dans Ma vie littéraire

18 réponses à “Berlin-Warszawa, train express

  1. Mo

    Pour les camps nazis, c’est effectivement une visite difficile. Je ne voulais pas en voir, mais un de mes visiteurs d’Erfurt voulait absolument voir Buchenwald – qui n’est « qu’un » camp de concentration – l’hiver, au milieu des bois glacés, avec les corneilles, tout rasé, le froid, ce silence qui t’écrase, tu as beau te dire que ça a un coté voyeur, tu ne fais pas la fière et tu « ressens » très fortement l’horreur – surtout peut-être quand tu l’as beaucoup étudiée, je en sais pas. Ce qui m’a vraiment dérangé, c’est qu’après, gelé, malheureux, on est allés prendre un chocolat dans un joli café près du marché de Noël, dans les lumières et la vie. Et pourtant, faut-il ne plus vivre pour se souvenir? Bref, c’est pour ce malaise-là que je n’irai sans doute plus jamais visiter un camp. Ce côté indécent du visiteur qui reprend sa vie, comment est-ce possible de vivre normalement, et pourtant comment et pourquoi, et à quoi bon, ne pas profiter de cette vie paisible que nous avons et que ceux des camps auraient voulu retrouver?

    • C’est triste ce que tu racontes, et tellement vrai. Dans le Routard, c’est assez choquant, la proximité du camp et de la cafétéria du mémorial imprimés sur la même page. C’est cependant une réalité. Pour faire vivre la mémoire, il faut des « touristes », et de quoi les accueillir. C’est ainsi. On n’est pas obligés de participer, cela dit, on est d’accord…

      Et puis, oui, le chocolat chaud, vous y aviez droit, oui ; c’est presque une obligation de se rendre à la vie.

      • Le plus problématique avec les lieux de mémoire c’est encore les visites scolaires. L’ambiance y est, comme dans toute sortie scolaire, rarement au recueillement et au respect et l’élève est forcé de participer, qu’il le veuille ou non. D’un autre côté ces sites, monuments et autres musées remplissent une fonction éducative (voire même formatrice) importante puisque d’une part ils rendent l’objet de mémoire, l’évènement historique concret et donc plus difficile à nier que le simple discours d’un prof (lui-même pas forcément perçu par ses élèves comme une autorité). D’autre part et ce malgré la part de subjectivité inhérente à toute « exposition » (monument au sens large rénové ou non, retrait d’éléments, ajout d’autres, présence ou non de panneaux explicatifs, contenu des explications etc.), les lieux de mémoire peuvent être un formidable révélateur d’omissions plus ou moins conscientes de la part des profs et des rédacteurs de manuels scolaires puisque là aussi ils vous placent devant un signe concret pouvant servir de base à un questionnement. Un exemple: ayant grandi en Lorraine, c’est assez naturellement que mon prof d’histoire nous a emmenés voir les vestiges et monuments consacrés à la bataille de Verdun (j’avais une quinzaine d’années). Eh bien ça fait assez bizarre de se retrouver devant le village entièrement rasé de Fleury-devant-Douaumont qui n’est plus constitué que d’impacts d’obus devant lesquels ont été placées des petites plaques indiquant qu’ici vivait untel, que là se situait la boulangerie etc. C’est une espèce de musée en absence particulièrement surréaliste (oui, je pense à « Ceci n’est pas une pipe »; trou n°3: « Ceci est la maison de monsieur Machin »). Mais ce qui m’a le plus marquée et m’a fait prendre conscience du fait qu’on ne nous racontait pas toute la vérité sur cette bataille (école catholique, je précise), ce fut le gigantesque ossuaire de Douaumont et le cimetière adjacent, plus précisément le carré musulman. Réaction naive à l’époque: comment ça des soldats musulmans (en nombre important qui plus est) ? Ben oui, les régiments de zouaves, la colonisation etc. J’ai commencé à me rendre compte à ce moment-là que le monde et son histoire étaient beaucoup plus compliqués que ce qu’on essayait de nous faire croire…

        Bon, sur une note plus légère: bonne année ma chère Magda (je n’étais pas encore passée te la souhaiter chez toi ;)).

    • gégé

      Bonjour
      est e que tu pourrais me dire s’il y a bcp de trains entre l’aéroport de Berlin et Poznan?
      J’y arriverait vers 18h30 et j’ai peur que cela fasse juste pour en choper un ?
      distance entre l’aeroprt et la gare ???
      tu aurais des horaires ?
      merci d’avance

  2. La suite ! (s’il te plait…)

  3. J’aimerais avoir la possibilité un jour de pouvoir voyager comme toi incognito sans être un objet de curiosité ou de suspicion, cela me reposerait.

  4. Les voyages en train que j’affectionne tant sont devenus un calvaire depuis peu, surtout ceux qui ont pour destination un pays d’Europe de l’est, sans compter les humiliations lors des contrôles douaniers. Les passagers deviennent de plus en plus suspicieux à mon égard, surtout lorsque j’oublie de raser ma barbe et que mes cheveux hirsutes.

  5. J’ai oublié de signaler dans mon commentaire un post que j’avais consacré à Zofia Nalkowska.
    http://leclownlyrique.wordpress.com/2009/11/23/pres-de-la-voie-ferree/

    • Merci Mohammed. Je ne connaissais pas cette auteur, pourtant la plus célèbre écrivain polonaise, à ce que je viens de lire en faisant des recherches. Incroyable qu’elle soit inconnue en France.

  6. @ Agnès : les voyages scolaires… à Auschwitz, je ne suis vraiment pas pour… les élèves, paraît-il, ressortent brisés. Ou bien certains cachent leur émotion en écoutant leur Ipod… je ne vois pas l’intérêt de montrer ça à l’école, tout comme « Nuit et brouillard » par exemple.
    Apprendre oui, mais mettre le nez dans l’horreur à 12 ans, pourquoi? C’est trop tôt et cela doit rester une décision mature que d’affronter ce genre de documents aussi directement. A 18 ans, j’ai pleuré trois jours sans interruption après avoir vu les archives de la sortie des camps ; imagine ce que cela m’aurait fait à 10 ans.

    • On est d’accord, forcer des enfants ou des jeunes (ou même des adultes) à aller à Auschwitz est absurde. Etant moi-même très sensible aux lieux et aux images, je comprends tout à fait ta réaction (c’est bien pour ça que cette sortie à Verdun m’est restée à ce point en mémoire et que pour l’instant je n’ai pas l’intention d’aller visiter de camp). Ce que je voulais dire c’est que l’expérience directe du lieu (pas besoin d’ailleurs d’aller visiter un camp de concentration pour ça ; cela reste un cas extrême à considérer avec particulièrement de précautions) peut provoquer une réflexion qu’un simple cours d’histoire n’aura pas réussi à susciter (honnêtement quand je repense à ce qu’on a pu nous faire gober en cours d’histoire, cela me rend furieuse).

      • Non, c’est clair, je ne veux rien reprocher à tes profs qui t’ont fait visiter autrefois Verdun. Je trouve que c’est au contraire une belle idée.

        Je n’ai pas un souvenir aussi déçu de mes cours d’Histoire, pour ma part. C’est sans doute qu’en prépa, j’avais des profs qui cassaient du sucre à tout bout de champ sur le dos de la colonisation, de la prétendue « France résistante », le rôle des Etats-Unis dans la mise à feu et à sang de l’Amérique du Sud dans les 70’s, etc. Ces bonshommes-là m’ont bien dessillé les yeux.

        Je n’ai toutefois pas vraiment l’impression, même au temps du collège, qu’on m’ait menti sur quoi que ce soit – du moins pas sciemment. J’ai peut-être eu de la chance.

  7. superfaustine

    C’est marrant. Inconsciemment, on a passé le même Nouvel An, mais en beaucoup moins fun pour moi, coincée entre ma grand-mère juive polonaise et ma mère qui avait cuisiné des pirojkis (je l’ai toujours écrit phonétiquement) ainsi qu’une multitude de plats polonais.
    Bonne année!

    • « pirojkis » c’est en russe non? en Pologne il l’écrivent et le disent « pierogis ».

      En fait ce n’était pas mon Nouvel An! le Nouvel An je l’ai passé à Berlin. Je suis partie après en Pologne.

      Ça devait être super bon quand même le dîner polonais de Nouvel An non? Moi, j’aime vraiment beaucoup cette cuisine (que beaucoup de gens méprisent parce qu’elle n’est pas « raffinée », mais ils n’y connaissent rien!)

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