Une belle et ennuyeuse jeune personne

Louis Garrel, professeur d’italien dans « La belle personne » de Christophe Honoré. J’ai envie de retourner au bahut.

Heureusement que je ne suis pas journaliste pour de vrai, parce que je me ferais huer. Oui, parce que je n’ai jamais lu La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette, voyez-vous, et que je vais quand même vous parler de son adaptation cinématographique récente avec La belle personne du cinéaste Christophe Honoré.

L’adaptation littéraire au cinéma, nous le savons, est un genre des plus casse-gueule, de ceux qui dérapent en un tournemain. Par exemple, on est en chute libre avec Le temps retrouvé de Raoul Ruiz qui s’est frotté courageusement à Proust, sans succès. Mais d’autres peuvent réussir avec éclat : voyez Le Guépard de Luchino Visconti, merveilleusement adapté du roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, ou le très sensible Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau tiré de la pièce de théâtre d’Edmond Rostand. Parfois, le scénariste se confond avec l’auteur du roman, et cela donne souvent de belles choses, comme lorsque Michael Blake adapte son propre bouquin pour Kevin Costner et nous pond un beau Danse avec les loups mélancolique et brumeux.

Donc, me voilà devant La belle personne de Christophe Honoré. Grande excitation d’aller voir ce film dont je croise quotidiennement la superbe affiche. Honoré m’avait conquise avec Dans Paris, enlevé et godardien film parisien où le tristement superbe Romain Duris le dispute au sublimement joyeux Louis Garrel. Un régal. La belle personne est une adaptation de La Princesse de Clèves dans un lycée du XVIe arrondissement parisien. Junie (Léa Seydoux) débarque dans son nouveau bahut et intègre la petite bande d’amis de son cousin Matthias. Histoires d’amour et de sexe gentillettes entre adolescents – on a vu mieux. Là-dessus se greffe la passion que déclenche Nemours, le (très) beau prof d’italien – Louis Garrel, vous l’aurez deviné. Le problème de tout cela, c’est que rien ne se crée, rien ne se transforme mais tout se perd : qui est qui? qui couche avec qui? qui trompe qui? qui a dit quoi? où en est-on dans le récit? On est paumés. Le scénario et ses personnages ne cessent de bavarder ; les images, quant à elles, parlent peu. Honoré souligne et surligne son roman de Madame de Lafayette comme un lycéen en préparation du baccalauréat. Et sa jeune personne, toute jolie qu’elle soit, nous ennuie ferme. Surtout lorsqu’Honoré n’hésite aucunement à plaquer dans la bouche de Léa Seydoux des passages entiers du livre, que la jeune actrice, malheureusement, restitue avec une platitude effarante.

Honoré se réfère sans se cacher à la Nouvelle Vague. Dans Paris usait des artifices joyeux de Godard et d’Agnès Varda avec ses enseignes lumineuses qui racontent l’histoire, ses couples qui lisent au lit, ses monologues face caméra. Mais dans La belle personne, lorsqu’il assied Léa Seydoux – dont la ressemblance avec Anna Karina n’échappera à personne – sur la banquette en skaï d’un café pour écouter Aznavour au jukebox, pfff… Il aurait fallu plus de maestria pour se hisser à la hauteur de la scène mythique entre Karina et Belmondo dans Une femme est une femme de Jean-Luc Godard, écoutant tristement Tu t’laisses aller de Charles Aznavour, que vous pouvez regarder ici. Enjoy.

Heureusement – et même la gent masculine n’osera me contredire – Louis Garrel est là. Nemours séduisant, drôle, parfois burlesque, sorte de Roberto Benigni avec les cheveux de Samson et les yeux de Rudolph Valentino, il illumine le film, le parfume, même, dirais-je, de son charme sautillant et de son naturel désinvolte. Un acteur qui réinvente son cesse son texte, se l’approprie, donne à tous ses mots la couleur de la vie et à tous ses gestes une grâce que l’on n’a pas vue en France depuis un Dewaere, un Depardieu ou un Belmondo. La belle personne du film n’est donc pas celle que l’on croit!

PS : il est encore temps de voter pour la palme du livre rasoir inavouable ici. A l’heure où je vous écris, « Belle du Seigneur » d’Albert Cohen est le grand classique qui nous est le plus tombé des mains. Pour combien de temps encore?

PS bis de dernière minute : dites-donc, c’est mon centième billet sur Ce Que Tu Lis! ça se fête. Je vais de ce pas me faire un bain au champagne en pensant à vous tous.

23 Commentaires

Classé dans Sorties cul(turelles)

23 réponses à “Une belle et ennuyeuse jeune personne

  1. la chance pour le bain au champagne
    mais qu’avez vous toutes avec ce louis
    vraiment
    arf, je vais finir par être jaloux

    pour etre serieux, hier, j’hésitai pour aller voir ce film, et finalement, je ne suis pas allé. Je ne sais pas. Déjà au masque et la plume, pas trop d’emballement, et puis les parisiens ça m’ennuie. Je connais pas son cinéma à cet honoré, mais je ne sais pas si je rate quelque chose, je ne sais pas grand chose ce matin.

    bref, je verrais plus tard, mais je pense me réserver un soir pour voir le film de newman à la filmotheque

  2. Roxane

    Je trouve que c’est assez bien résumé.
    Sauf que si je ne conteste pas le fait que Louis Garrel est un acteur intéressant, sa gueule m’insupporte, oui je sais je suis la seule.

    Oui une 100ème ça se fête, félicitations; tu me mets une coupe au frais avant de remplir ton bain?

  3. @ Stéphane : comment t’expliquer, moi qui ne suis pourtant pas midinette, Louis Garrel me fait un effet monstre. Je suis dans mon bain au champagne et c’est Louis qui verse le Dom Pérignon, tu vois.
    Bon, trêve de plaisanterie, je te conseille vivement « Dans Paris », qui est un bien joli film distrayant en plus d’être profond. On ne peut pas toujours être bon, même les cinéastes qui font de belles choses ont bien le droit de se planter.
    Tu me diras ce que tu as pensé du film de Newman.

    @ Roxane : la gueule de Garrel t’insupporte? Alors que pour moi, elle éteint tout ce qui se passe d’autre sur l’écran. Tu es bien la seule, oui, mais tu as le mérite de penser comme ça, tant mieux, les gens qui font l’unanimité sont généralement banals.
    Le champagne se réchauffe, j’y retourne. Désolée, il n’en reste plus une goutte, mon siphon a quelques soucis (il est très violent, il m’a déjà aspiré un boa, si tu vois ce que je veux dire).

  4. Le Nom de la rose réalisé par Jean-Jacques Annaud et Nocturne Indien d’Alain Corneau sont deux adaptations assez réussies.
    Pour le bain au champagne, une photo de steve McQueen prenant son bain que j’aime beaucoup: http://www.vpphotogallery.com/photog_dominis_bath.htm

  5. J’ai aimé « Le Nom de la Rose » bien sûr, mais je n’ai pas vu « Nocturne indien » qui est un livre que j’aime beaucoup en tous cas. Je vais essayer de le louer.
    Très très chouette, la photo de Steve MacQueen et de sa femme dans leur bain… on a envie d’y être avec eux.

  6. holden

    Il faut absolument que tu vois « les chansons d’amour » d’Honoré… Louis Garrel y est génial et le film dans l’ensemble est génial, mêlant drame et légèreté avec beaucoup de subtilité.
    Comme tu dis, quoiqu’on pense de sa mine ténébreuse, il a une fraîcheur de jeu qui se fait plutôt rare de nos jours.

    Quant à Léa Seydoux… elle est magnifique…

  7. un bain de champagne quelle bonne idée,
    et quelle bonne occasion de péter dans la baignoire.

    plus je lis de critiques sur ce film et plus j’ai envie… de lire le livre à la place ^^
    (ah merde en fait je pense que je l’ai lu, faut que je mène l’enquête !)

  8. Tiens, un collègue a adoré, il y a bien retrouvé m’a-t-il dit l’atmosphère de notre lycée (qui n’est pas celui où le film a été tourné mais qui y ressemble fortement). Pour ma part, je vois bien assez mes élèves toute la journée… ;) Cela étant, il va falloir que je m’y colle puisqu’une de mes classes lit « La princesse de Clèves » sur injonction fashionesque (bad timing), mais vraiment Louis Garrel en Nemours, mais quelle idée! (et je suis comme Roxane, cet acteur m’insupporte terriblement et, disons-le tout net, je le trouve laid, oui, je sais, je ne dois pas être normale) Et une Mme de Clèves de 16 ans lycéenne, mais quelle horreur! Je crois qu’il y a un problème dans l’écriture du scénario avant même de parler du film : l’adapter comme ça c’est n’y avoir pas compris grand-chose.

  9. Mo

    Louis Garrel a une tête d’Appollon, oui, mais le seul problème, c’est qu’il le sait. Et puis j’ai dans la tête les images de l’adaptation avec Jean Marais et Marina Vlady, que je n’ai certes jamais vue, mais qui étaient dans mon édition de « La princesse de Clèves », que j’ai lu il y a très longtemps et qui me laisse le souvenir d’une chose étincelante et incandescente que j’aurais vue de trop près… A relire, tiens…
    Et bon bain!

  10. @ Holden : oui, il faut que je le voie, tout le monde en dit du bien, des « Chansons d’amour ». Et puis il y a Clotilde Hesme dedans, que j’aime beaucoup. Et que je trouve bien plus jolie que la petite Seydoux qui si elle a beau être ravissante, a un jeu bien trop neutre pour m’intéresser. Ce n’est pas Anna Karina – du moins pas encore – en dépit de ce qu’Honoré tente de nous faire croire.

    @ Arbobo : tu es dégoûtant mais tu me fais rire. Oui, moi aussi j’ai envie de lire le livre maintenant. Tu ne te souviens plus si tu l’as lu? Ça ne doit pas t’avoir marqué…

    @ Fashion : comment, Louis Garrel est laid? Mais vous êtes folles, Rox et toi. Bon en tous cas si tu le vois je serai très curieuse d’avoir ton avis sur ce film. Effectivement, pour une prof, c’est un objet de curiosité de voir ce qu’Honoré fait de la vie d’un lycée.

    @ Mo : ohhh là on se calme, on laisse le Louis tranquillou bilou, on le laisse à sa Magda et tout va bien dans le meilleur des mondes. Reconnais au moins qu’il est bon acteur!
    C’est joli ce que tu dis de « La Princesse de Clèves »… ça me donne foutrement envie de le lire.

  11. funny face

    moi je te le laisse volontiers ton Garrel, il ne me fait rien remuer si tu veux savoir … on dirait un petit garçon maigrelet et maladif (genre Chopain phtisique …. :D ), je préfère les hommes un peu plus sensuellement enrobés et largement pourvus en personnalité. Sinon, pour le film j’hésite également à le voir, d’après les extraits je ne suis pas séduite. Et puis je me souviens avoir lu le livre …. si si, il doit trainer dans ma bibliothèque …

  12. Bravo pour ce centième ! Un trés joli cru… J’aurais envie de dire la même chose de ce petit Garrel ; avec mon admiration pour La princesse de Clèves, il constituait ma deuxième raison d’aller voir le film mais tu es la deuxième personne qui m’en dissuade, alors j’hésite… En fait je doute de l’efficacité de la transposition du roman dans un lycée ; je vois bien l’intérêt théâtral que ce microcosme scolaire présente mais je pense que les sentiments dépeints par Mme de Lafayette ne se prêtent pas aux passions adolescentes. Je crains qu’ils soient affadis et de fade, qu’il versent dans la mièvrerie, la bluette improbable. Exercice difficile s’il en est que de transposer de telles oeuvres au cinéma. Tu as cité quelques exceptions réussies ; j’ajouterais Tous les matins du monde à ta liste.
    N’abuse pas des bulles!

  13. Globalement, je partage tout à fait cet avis et cette déception. Le film n’est pas à la hauteur des attentes qu’il avait suscitées et la transposition ne prend pas. Pourtant l’idée était bonne et audacieuse. Les rapports entre le beau prof d’italien et la belle élève-personne (paraît-il) sont d’une ambiguïté douteuse et peu vraisemblable. Enfin, le « parisianisme beau quartier » dans lequel baignent les personnages du film finit par agacer… En revanche, il faut absolument voir « Les Chansons d’Amour », un film en-chant-euret plein de grâce auquel « la Belle Personne », du même C. Honoré, fait d’ailleurs plusieurs clins d’oeil… Un vrai régal !

  14. @ Funny face : Garrel et moi, on va être tranquilles, on dirait. Si personne ne fond pour lui, je serai bien peinarde avec mon Louis chez son papa Philippe à regarder des vieux films en Super 8.

    @ Maude : c’est vrai que « Tous les matins du monde » est un film très réussi – plus que le livre? bon bon j’ai rien dit… Il faudrait vraiment que je lise « La Princesse de Clèves », tant décrié par notre petit héros de président – je suis sûre que ça me plaira. Ce que tu dis en tout cas de la hauteur des sentiments chez Lafayette donc de l’impossibilité de les mettre en scène dans une cour de lycée me paraît, hélas, justifié lorsqu’on voit « La belle personne ».

    @ Tout à fait d’accord sur le « parisianisme beaux-quartier ». Et pour avoir vécu mon adolescence dans un bahut du Village d’Auteuil, je sais de quoi je parle et je peux vous dire que Christophe Honoré est encore trop tendre avec ces petits couillons. Héhé. Agaçant, en effet, et réducteur. L’adolescence se cantonne à la salle de classe et à la cour, et on s’y ennuie.
    Bon, je verrai « Les chansons d’amour », c’est une promesse! Tout le monde me chante ses louanges…

  15. Ori

    Ca me rassure de ne pas être la seule à ne pas avoir adoré La belle personne! Dans ma salle des profs tout le monde est dithyrambique et j’ai honte de dire que Léa Saydoux ben nan moi je la trouve ennuyeuse!

  16. @ Ori : oui, la pauvre Léa Seydoux est bien mignonne, mais elle a été mal dirigée probablement, car son jeu est extrêmement plat et neutre… elle est jeune, si elle a du talent, nous le verrons bientôt. Elle a un visage cinégénique, c’est déjà pas mal du tout, même si cela ne suffit pas – car en dépit de la ressemblance avec Anna Karina, on est encore loin du travail de Karina sur ses personnages!

  17. J.

    C’est vraiment drôle ce qui m’est arrivée. Je vous explique :
    J’ai dû lire « La Princesse de Clèves » pour mon cours de littérature, à la fac, cette semaine. Je l’ai lu en trois jours, soit dimanche, lundi et mardi. Mon cours étant mardi soir, le 4 novembre.

    Jeudi soir, je m’amusais sur Internet et je suis tombé sur la bande-annonce de « Dans Paris », film dans lequel Louis Garrel a joué. Puisque je le trouvais vachement mignon, j’ai voulu en savoir plus sur lui. Je suis donc aller sur « Allociné » où j’ai trouvé une bande-annonce de « La belle personne ». À ce moment-là, je ne m’étais pas rendu compte qu’il s’agissait d’un film inspiré de « La Princesse de Clèves ».

    Aujourd’hui, j’ai commencé à travailler sur le texte de 1000 mots que je dois remettre dans deux semaines. J’ai fait quelques recherches et j’ai découvert qu’il y avait quelques adaptations cinématographiques du livre. Bang ! J’ai été frappé de surprise quand j’ai vu le titre « La belle personne ».

    Maintenant que je suis redescendue sur terre, il ne me reste plus qu’à l’écrire se fichu texte de 1000 mots. Souhaitez-moi bonne chance.

  18. @ J. : comme vous avez pu le constater, je suis férue de coïncidences. Et votre commentaire en est truffé, quelle merveille! Je vous souhaite bonne chance avec vos mille mots, alors, et que le hasard vous inspire magiquement… à bientôt!

  19. philo

    @ funny face.
    Juste pour rétablir une vérité souvent mise à mal : Louis garrel n’a rien d’un petit garçon maigrelet et maladif, c’est « une belle bête », il mesure 1m,83 et a une carrure genre dieu grec. Dans Dreamers, de Bertolucci, il faisait très « mâle dominant », et il n’avait que 19 ans !
    Amitiés.

  20. philo

    pourquoi mon commentaire est pas publié ?
    je disais à funny face que Louis n’était pas maigrelet ni maladif, mais un beau mec d’1,83m aux épaules larges !

  21. @ Philo : ben si il a été publié! désolée pour le retard dans la réponse, j’étais loin de tout accès Internet…

  22. justin

    c’est exagerer quil est beau moije suis pas connue mais a de trop joie nanas

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