Reine Kiki


Alice Prin, dite Kiki

Ah, Montparnasse!

Kiki était la muse de Man Ray, de Foujita, de Desnos… Elle était tourbillonnante, gironde et sans complexes! C’était les années 20 à Paris, l’époque où les peintres brisaient des chaises dans leur fourneau pour réchauffer les modèles nus et frissonnants.

J’avais, depuis longtemps, très envie de lire la BD Kiki de Montparnasse de Catel & Bocquet. Catel, dessinatrice, nous fait le portrait magnétique de Kiki aux cheveux noirs, tandis que Bocquet, l’homme à la plume, garnit la bouche de la belle avec les mots fleuris des titis de Paris.

Kiki était l’insouciance même, et but son existence jusqu’à la lie. Elle qui fut la Reine de Montparnasse, l’amie des plus grands artistes de ce monde, rencontra son destin tragique de cigale au détour d’une bouteille de trop et d’une cure de désintox ratée. Pour suivre son cercueil, des amis d’autrefois, il n’y eut que le peintre Foujita, ami fidèle jusque dans la déchéance.

Cette bande-dessinée passionnante nous entraîne avec vivacité dans le monde intérieur d’une femme de la bohème, et dans l’univers fantastique des artistes de Montparnasse. Le dessin et la forme sont assez classiques, mais conviennent bien à cette biographie d’une muse. Il est en effet difficile d’imposer un style trop appuyé, lorsque les personnages sont eux-mêmes des peintres dont la patte est connue dans le monde entier : Foujita, Kisling, Duchamp, Man Ray, Soutine, ou des auteurs dont les mots surréalistes et dadaïstes n’ont pas d’égal : Desnos, Breton, Roché, Tzara. A cet égard, Catel et Bocquet font preuve d’une humilité qui sert fort bien leur propos de biographes et de conteurs d’histoires du passé. Le dessin est fidèle à ses modèles célèbres, et le scénario semble parfaitement documenté.

Bonus : le livre est assorti, à la fin, d’une série de courtes biographies des artistes de Montparnasse cités dans la bande dessinée.

18 Commentaires

Classé dans Ma vie littéraire

18 réponses à “Reine Kiki

  1. Mohamed HABIBI

    Une pensée pour Aïcha Goblet, jeune antillaise perdue dans le Paris des années folles et qui fut la muse de tous ces peintres parnassiens et que croisa kiki sur sa route.

    Quand je pense que la plupart des tableaux de Jules Pascin ont eu aïcha pour modèle et que la seule trace de sa présence dans les monographies en langue française est traduite par l’expression de « aïcha la nègre » à l’inverse de celles en langues anglaises qui consacrent à ce modèle de belles pages. Triste constat pour celle qui a tant apporté à la créativité de ces peintres du Montparnasse.

    Aïcha, le célèbre modèle métisse de Montparnasse a été la campagne de Samuel Granowski, peintre ukrainien qu’on a surnommé « le Cow-boy de Montparnasse » parce qu’il arborait les rues avec une chemise vive et un chapeau texan.

    « Les artistes de Montparnasse dansent et lorsqu’ils ont venu un tableau, une partition ou le manuscrit d’un ouvrage ils jettent l’argent par la fenêtres en compagnie de leurs amis préférés. C’est pourquoi les dancings sont nombreux dans la petite république. Il y a celui de la Rotonde, où se dandine majestueusement la mulâtresse Aïcha, martiniquaise, dont cent peintres ont fait le portrait (3) ; il y a le minuscule Parmas Bar (…), il y a le Jockey, où se réunissent tous les Japonais qui ont envahi le quartier… »

    Alejo Carpentier. Chroniques. Paris, Gallimard, 1983.
    Voici trois liens:

    http://www.parisenimages.fr/fr/popup-photo.html?phot o=1894-12

    http://www.parisenimages.fr/fr/popup-photo.html?phot o=1215-9

    http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=not ice&id_n…

    Quand on n’a que son corps à imposer au monde…

    Sylvie Chalaye

    http://www.africultures.com/php/index.php?nav=articl e&no=2854

    • Merci pour ces précisions Mohamed, toi dont le blog est tout entier, parfois, un hommage à cette période artistique fabuleuse à travers la photo et la littérature!

      En revanche les liens ne fonctionnent pas… du moins pas chez moi, quelqu’un d’autre a ce souci?

  2. J’avais aussi beaucoup aimé cette BD. De toute façon ce type de femme me fascine toujours. A ce propos je te conseille de te pencher sur Elsa von Freytag-Loringhoven, dite The Baroness (même époque et type de milieu que Kiki mais surtout à New-York), dont j’avais parlé ici: http://www.plouf.de/blog/index.php?/archives/35-Dada+BaronessElsa.html

    • Merci pour le lien, comme je l’ai écrit chez toi je trouve l’article formidable.
      Je pense que je vais lire la biographie de Kiki par Lou Mollgaard dont on dit du bien, et puis je me procurerai les poèmes d’Elsa von Freytag-Loringhoven (mais quel nom!)

  3. Pia

    J’habite à Montparnasse (enfin, près de) et je suis à chaque fois renversée par les récits racontant la vie du quartier dans les années 20, 40… Il faudrait faire une anthologie de la littérature du 14e arrondissement : on y trouverait Hemingway, un peu, Jean Rhys, et de très beaux passages d’Henry Miller (où il traverse par accident une verrière rue Froidevaux, si mon souvenir est exact). Bref, on pourrait y ajouter cette bande dessinée..
    En attendant, je rêve et j’essaie de me représenter ce que les énergies pouvaient être dans ces rues que je connais (parfois trop) bien.

    • Hemingway fait un portrait flamboyant des artistes de Paris dans les années 20 (et pas seulement de Montparnasse) dans « Paris est une fête », un livre inoubliable et nostalgique, l’as-tu lu?

      J’ai vécu, avant Berlin, près de Montparnasse moi aussi. Il ne reste rien de ce temps-là, me semble-t-il… le boulevard est ponctué d’hideux restaurants à touristes et de bars hors de prix. On n’échange plus un dessin contre un repas chez la vieille Rosalie… Les peintres ne jouent plus aux échecs contre les muses et les écrivains… Finalement, cette ambiance-là, je la retrouve à Berlin bien plus qu’ailleurs.

      Comme toi, une véritable anthologie des lettres du 14e arrondissement m’intéresserait vivement. Je ne sais pas si un tel ouvrage existe?

      • Pia

        Je ne sais pas du tout si ce livre imaginaire existerait.. si c’est le cas, ça me fait un peu peur (je regarde avec les méfiances les petits guides mignons, qui se déclinent comme des grilles de sudoku ou des livres de citations.. encore que ce n’est pas forcément mal en soi, mais je digresse…).
        Je croyais Montparnasse changé depuis bien longtemps, ta réponse m’apprend que c’est finalement récent. Ou bien tout change en pire, et je regretterai le Montparnasse d’aujourd’hui dans dix ans !
        Quant à Berlin.. je n’arrive pas à me faire à l’idée que cette année encore je devrai passer mon tour… un jour, un jour…

  4. Très joli billet sur une femme et une époque qui me fascinent. Comme toi, je regrette que Montparnasse ait changé à ce point là, même si c’est encore plus décevant pour moi de passer par St. Germain des Près où le Café de Flore n’est plus celui de Sartre et Beauvoir. Deux autres choses:
    Rose a aussi fait un très beau billet sur Kiki il y a quelques mois: http://rosealu.canalblog.com/archives/2009/08/06/14633869.html
    Et puis as-tu lu Mémoires de Montparnasse par John Glassco? J’adore.
    Je t’embrasse!

    • Je n’ai pas lu ce livre, dommage que je sois rentrée, j’aurais aimé l’emporter mais je me le ferai rapporter par des amis…
      Merci pour le lien vers l’article de Rose! Saint-Germain a horriblement changé, c’est juste. Vraiment triste. Je me souviens qu’il y a huit ans seulement, il y régnait encore une atmosphère très intello-étudiante, maintenant il n’y a plus que des cafés pleins de Ray-Ban et des boutiques de fringues…

  5. @ Pia : j’espère vraiment que tout ne change pas en pire! Ici, à Berlin, je vois que le quartier où je vis (Neukölln) devient à la mode, et déjà les réunions de résistance s’organisent.

    Paradoxalement, ici ça marche comme ça : un quartier est pauvre, des artistes et des étudiants s’installent. Leur présence rend le quartier attractif, des boutiques et des cafés branchés ouvrent. Peu à peu, des familles bourgeoises s’installent dans ce quartier « tellement » bohème tout en inscrivant leurs enfants ailleurs dans Berlin, de peur qu’ils ne soient mélangés à des petits Turcs (sic). Et les promoteurs immobiliers suivent, rachètent et rénovent des immeubles, les artistes ne peuvent plus payer le loyer, les Turcs non plus, et il faut partir plus loin…

    Alors, en ce moment, on réunionne à Neukölln. Un type a proposé un kit de répulsion anti-bourge : une parabole à placer sur le balcon, un chien qui fait beaucoup de crottes, des enfants qui braillent, et un foulard islamique.

    J’ai peur, hélas, que les blagues ne suffisent pas à repousser les investisseurs…

  6. Tu as raison, le classicisme et la discrétion du trait conviennent sans doute mieux au projet, mais il m’a manqué quelque chose pour que cette Bd dépasse la simple biographie. Mais c’est vrai que je l’ai lue quelques semaines après la biographie-enquête de Moore sur Jack l’Eventreur (From Hell) ; c’est un tout autre genre certes, mais aussi bien dans la narration que dans le dessin Moore et Campbell arrivent à imposer leur style propre et Kiki m’a paru un peu appliquée, du coup…

    • Je suis allée voir ce que donnait le dessin de Moore après avoir lu ton com, et en effet, c’est plutôt magnifique… à côté, bien sûr, Kiki a un air un peu naïf, mais c’est aussi ce qui m’a plu, je dois dire…

  7. Manée de Font-Sarade

    … et pour continuer à penser toute la journée, à Kiki de Montparnasse, se parfumer avec son parfum préféré « L’HEURE BLEUE » de Guerlain (créé en 1912).

  8. Bonne fin de semaine ! Merci pour ces beaux textes ! Pascal.

Laisser un commentaire