Où étiez-vous le 11 septembre?

Chute du Mur de Berlin / 11 septembre 2001 : quand l’Histoire s’écroule, les médias sont là

Comme le dit Mike LaMonica, un blogueur américain, « nous savons tous où nous étions ce matin-là ».

La question du « où nous étions ce matin-là » est intéressante. Le 11 septembre 2001 est entré dans l’histoire hyper-médiatique, aux côtés de la Chute du Mur de Berlin, l’un des premiers événements historiques et politiques à bénéficier d’une telle couverture journalistique dans le monde « en live ».

Le 11 septembre 2001, j’étais étudiante en école de communication, justement, et je faisais un petit boulot d’été comme vendeuse dans une bijouterie à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle. Une hôtesse de l’air est accourue et a glissé aux employées de la boutique : « Vous avez vu? »


Vu? Voir quoi? Je n’étais pas au courant. Un souffle d’angoisse agitait le terminal C où je travaillais. Oui, déjà, on pouvait « voir ». Je levai les yeux vers les télévisions accrochées au plafond. On y rediffusait déjà en boucle l’événement monstrueux.

A cette époque, mon petit ami était un Américain de New-York. Je sentais confusément que c’était stupide, mais j’essayai mille fois de l’appeler sur son portable. Rien ne marchait. Dans l’aéroport, des hôtesses de l’air pleuraient. Soudain, tout s’immobilisa et deux minutes de silence furent accordées aux victimes dont les corps n’étaient sans doute même pas encore froids.

Là où j’étais, donc, le 11 septembre au matin, dans un aéroport international, et qui plus est dans un terminal où les départs se font pour les États-Unis et les pays arabes, le « spectacle émotionnel » avait une force de frappe sans pareille.

Mon ami allait bien, sa famille aussi. Je regardais chez moi, le soir, en boucle, les images des avions frappant les tours, j’écoutais les hurlements des gens ayant filmé les Twin Towers avec un caméscope, les retransmissions de mystérieux appels téléphoniques passés depuis les bureaux des Tour : « I love you darling, I’m gonna die, long live America! ».

Avec le temps, ce théâtre d’émotion me met en colère. Je me demande à quel point il est acceptable d’user des émotions du public et des familles des victimes pour mettre en place des politiques douteuses et ultrasécuritaires. J’ai bien peur que les commémorations de cette année m’irritent de nouveau, comme elles m’irritent depuis 2002.

9/11 et la Chute du Mur sont des moments courts, et complètement saturés d’émotion. Leur théâtralité n’échappe à personne. La Chute du Mur est devenu le symbole quasi hippie de la réunion des peuples et de la fraternité ; 9/11 représente une horreur encore jamais atteinte jusque-là du terrorisme à grande échelle – un terrorisme riche et organisé. Un terrorisme si malignement imaginé, si puissamment construit, recherché, structuré, qu’il ressemble tout simplement à une guerre avec ses morts civiles. L’impression d’être injustement attaqué était jusque-là quasi étrangère au peuple américain, ce qui justifie ce tsunami émotionnel.

Mais ces courts instants – la Chute du Mur, le 11 septembre – ne sont qu’une infime parcelle de la réalité historique. Ces événements sont le point de mire médiatique parce qu’ils frappent fort et qu’ils sont massifs. L’Histoire, il me semble, ne se développe cependant pas comme un moteur à explosion : ce ne sont pas ces moments-là qui la déterminent. Une sensibilité exacerbée, vite oubliée après le moment crucial, fait de l’instant dit historique une icône – un Mur tombe, des gens hurlent de joie, deux tours tombent, des gens hurlent de détresse.

Oui. C’est intéressant de se souvenir où l’on était le 11 septembre ou le jour de la Chute du Mur. Mais c’est encore plus intéressant d’explorer ce qui provoque ces mouvements de l’Histoire, et de prendre un peu de distance avec le traitement médiatique qui en a été fait. Les couronnes de fleurs et le souvenir sont importants, mais ne doivent pas faire oublier que le 11 septembre reste un moment encore inexpliqué de notre histoire géopolitique. Et que nous devons garder les yeux ouverts sur ce que l’on nous fait avaler avec le goût salé des larmes.

18 Commentaires

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18 réponses à “Où étiez-vous le 11 septembre?

  1. Merci pour ce billet bien perspicace. Je suis d’accord avec toi sur la manipulation d’émotions de ces moments si courts qui nous frappent encore. Je pensais ça pendant ce théâtre de dominos qu’ils ont fait tomber pour fêter le 20e anniversaire de la chute du mur l’année dernière en nous disant que c’était la même ambiance! Et puis la guerre contre le terrorisme en a simplement aggravé le danger dans le monde – ce sont les hommes politiques comme Tony blair qui ne pensent qu’à leur postérité.

    Le 11 septembre 2001, j’étais étudiante de philo mais je passais un après-midi avec ma mère dans une librairie pour remained books à Nottingham qui a fermé définitivement quelques mois après. Tout d’un coup, on a écouté l’actualité à la radio; d’abord, on pensait qu’il s’agissait d’un accident mais on a vite compris que c’était autre chose mais on a seulement vu les images affreuses à la télé plus tard chez nous.

    • Je ne suis pas étonnée que tu te sois trouvée dans une librairie à ce moment-là!

      Les dominos, je ne les ai pas vus, mais j’étais bien au courant puisque c’est une initiative de l’Institut français, entre autres. Je ne les ai pas vus car ma pièce sur la Chute du Mur se jouait au même moment… mais elle était un peu plus critique que les dominos, je crois ;)

  2. Cette commémoration médiatique me met mal à l’aise. Al-Qaida et ses affidés ont causés la mort de milliers de musulmans à travers le monde ces dernières années sans que personne ne s’en émeuve. Je suis fatigué du deux poids deux mesures dans la commémoration des victimes d’attentats à travers le monde.
    Qui se souvient des victimes irakiennes, pakistanaises ou afghanes prises au piège dans les attentats suicides.
    Alors oui, apportons notre soutien et notre compassion aux familles américaines de cette terrible tragédie du 11 septembre mais n’oublions pas ces familles anonymes d’irak, du pakistan et d’afghanistan qui n’ont pas la chance que cnn ou fox news ne s’attardent sur leur sort et leur deuil.

  3. Pia

    Je suis curieuse cependant de voir la forme que prendra la commémoration des 10 ans du 9/11 l’année prochaine… surtout dans le contexte de la construction controversée d’une Mosquée dans le même quartier.
    Ce jour-là, contrairement à mon habitude, je ne suis pas rentrée chez moi tout de suite après les cours, et je n’ai pas allumé la radio comme je le faisais chaque jour, va savoir pourquoi. La réalité m’a rattrapée par le biais d’un texto.. Je trouve ça intéressant pourtant d’avoir atteint une overdose d’information le jour même où celle-ci allait danser son plus grand ballet !

  4. Je ne sais trop que penser de ces commémorations hypermédiatisées. Comme Mohamed, leur ethnocentrisme flagrant me dérange.

    • Pareil.
      Je me méfie désormais de chacune d’entre elles. Dès que l’une pointe le bout de son nez, sceptiquement je me demande quelle saloperie on va essayer de nous faire gober sous la couverture médiatique.
      Et un coup d’oeil sur le livre « The shock doctrine » de Naomi Klein n’a fait que renforcer mes soupçons. Tu connais? Une saine lecture…

      • Non, je ne connais pas mais je note ;) . Par contre j’ai repéré un livre de Judith Butler qui a l’air intéressant: « Frames of War: When Is Life Grievable? ». Et puis il y a aussi les écrits de Susan Sontag « On Photography » et « Regarding the Pain of Others ».

  5. Le hasard m’a permis d’écrire aussi un billet sur cette date terrible !

    Un avion, une date …

  6. superfaustine

    Le 11 septembre 2001, j’étais en train de m’inscrire en première année d’Histoire de l’Art dans cette bonne vieille fac de Lille 3. Je n’ai rien vu, rien su, rien entendu avant le soir, 20h, où ma grand-mère m’a téléphoné en me disant:
    « T’as vu? » et où j’ai rétorqué: « Tu sais bien que je n’ai pas la télé. »

    Je me souviens aussi du 9 novembre 1989, ou plutôt du 10. Je me souviens, pour avoir vécu à Münich et visité Berlin plusieurs fois avec ma famille, de l’existence du mur, que ma mère m’interdisait d’approcher. J’avais 5 ans. Le 10 novembre 1989, ma mère pleurait de joie dans la cuisine en préparant une currywurst.

  7. Someone just sent me this.Thank you for mentioning me. I could understand some of it, but not all.

    I would be delighted if you would post this as a link/comment here:

    Where were you on 9/11?

    Thank you.

    ~Mike

  8. Mo

    Le 11 septembre, je venais d’acheter mon premier ordinateur portable, et j’étais coincée sur l’autoroute près de Roissy avec mon père, et pendant qu’à la radio les journalistes s’affolaient et ne comprenaient pas vraiment, un avion atterrissait ou décollait toutes les 30 secondes au dessus de la route…

    Pour l’histoire par à coup: Gallimard a sorti dans les années 60-70 une collection »les trente journées qui ont fait la France » vraiment bien (du moins les les quelques titres que j’ai lus…) et dont l’ambition, à partir d’une date « canonique », était de rendre compte d’une société, d’une évolution… Novembre 89 ou le 11 septembre serait des dates qui ont refait le monde, mais oui, il est plus facile et plus rapide de se limiter à un point en occultant à la fois ce qui le rend possible et ce qui en découle, et oui, c’est bien triste…

  9. « nous savons tous où nous étions ce matin-là ».

    c’est ce que j’ai réalisé il y a longtemps quand mon père, né en 1938, m’a parlé du premier pas sur la Lune. Il ajouta que tout le monde se souvient de ce moment, où il l’a vu, avec qui…
    c’est vrai pour certains évènements marquants, c’est vrai du 11 septembre.

    j’ai appris tout ça en fin d’après-midi. J’étais prof d’histoire-géo depuis 1 semaine. élèves des 6e et de 5e.
    Mon prof à moi, mon mentor, m’a appelé, pourquoi moi je n’en sais rien, m’a demandé si j’avais vu. Il m’a expliqué en quelques mots.
    J’ai ressenti le besoin de voir, justement. J’ai appelé des amis qui habitaient pas loin, qui avaient une télé, le cable, un magnétoscope. Je me suis invité. Je leur ai demandé si on pouvait enregistrer la chaine d’info que nous regardions, on changeait parfois de chaine.
    Je ne savais pas trop à quoi ça allait me servir.

    Au bout d’un moment nous avons réalisé le vide qui entourait ces images, une spirale d’images obsédantes, des tonnes de conjectures et de paroles vides.
    Par flash, je pensais à toutes les personnes que je connais qui vivaient à cette époque à New York.

    durant des jours je me suis efforcé de ne pas m’inquiéter de l’absence de réponse.
    Je me souviens d’avoir pensé « en plus de ça ce connard de Bush va être réélu, maintenant ».
    Je me souviens d’avoir meublé l’insomnie en cherchant ce que j’allais dire aux élèves.

    J’étais loin de m’imaginer leur degré de confusion, je savais seulement qu’il allait falloir expliquer, insister, que l’islam en tant que tel n’était pas en cause, expliquer le terrorisme, l’extrémisme….
    6 mois plus tard j’aurais à leur parler d’un autre extrémisme, pas musulman du tout, bien de chez nous, et essayer d’apaiser là encore leur incompréhension.

    « monsieur, c’est vrai qu’ils vont envoyer des avions sur la tour montparnasse? »

    j’ai rarement eu autant la pression de trouver les mots justes.
    et la pression d’avoir l’air rassurant et sûr de moi. Je suis fréquemment le premier, trop rarement le second.
    Devant moi des gosses d’origines différentes, de religions différentes, et ma peur était de voir la défiance naitre entre eux, sous le coup de la panique et la peur. Faire son possible pour désamorcer les ferments de la méfiance et du rejet.

    les souvenirs, c’est aussi cette lettre de Jack Lang, ministre de l’enseignement, demandant à tous les enseignants, sans exception, de jouer leur rôle d’éducateur pour faire leur possible auprès des élèves, répondre à leurs besoins face à ce qui venait de se passer.

    toujours les mêmes commentaires, de repli, de défaussement, les mêmes scènes en salle des profs, « c’est pas mon boulot », ben tiens, c’est le boulot de qui sans déconner, « les profs d’histoire-géo s’en occuperont ». sic. Dont acte. Dépassés. comme si moi je ne me sentais pas tout aussi dépassé, effrayé et démuni.

    tu as raison, c’est le lendemain qui compte. Et le surlendemain encore plus. Et le jour d’après. Le jour d’après. Le jour d’après…

    j’avais parlé de ma cassette vidéo aux collègues, l’une d’elle l’a utilisé, pour aider les élèves à avoir un regard critique sur les images et ne pas y être aspirés. Des collègues de l’iufm l’ont utilisée également.
    Moi je ne l’ai jamais vue. Je n’ai jamais revu ces images.
    Mais je me souviens de ce jour là. Il était presque 18 heures, et j’ai décroché le téléphone.

    • Arbobo, ce texte est tellement beau que j’en ai eu les larmes aux yeux (oui, c’est vrai) et qu’il mérite d’être publié autrement que sous forme de commentaire. Si tu me l’autorises, j’aimerais en faire le prochain billet de Ce que tu lis.

  10. tu m’honorerais, magda, merci beaucoup

    le mérite t’en reviens, tu m’as renvoyé dans un état quasi second avec ce billet

  11. Bonjour Magda !
    Première visite sur votre blog. Vous vivez dans le pays dans lequel j’ai grandi et dans une ville que je me réjouis de visiter bientôt.
    Où j’étais le 11 septembre 2001 ? Je vivais et travaillais à Dublin, Irlande, dans un de ces call centers qui y ont poussé comme des champignons. J’avais un total accès à internet et j’ai fixé, incrédule, les images qui s’affichaient sur mon écran.
    J’ai pleuré, pour les équipages de ces bombes volantes plus encore, peut-être, que pour leurs passagers, parce que j’ai été hôtesse de l’air, moi-même. J’ai imaginé le calvaire des commandants et hôtesses qui ont dû faire « comme si » jusqu’au bout, alors que tout était foutu.
    J’ai pleuré, enfin, parce que des 3 avions qui ont été pulvérisés, ce jour-là, 2 arboraient la jolie robe métallisée de mon ex-compagnie. Et j’ai appelé mes amis qui travaillaient encore pour elle et qui croulaient sous les appels, pour leur dire que je pensais à eux et que j’étais triste.

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