Stevenson, priez pour nous

bar 25

Le légendaire Bar 25 à Berlin (Photo Delaney Davidson)

Imaginez L’Ile au Trésor* en pleine ville. Il existe à Berlin un endroit qui ressemble à un Disneyland pour adultes décomplexés et free-style. 10 000 mètres carrés le long du fleuve, comme un terrain de jeu sur sable, avec quatre DJs-sets en même temps, une ambiance Club Med pour freaks, un sauna, des massages ayurvédiques, des gens de toutes les couleurs, et de toutes les langues, et de tous les âges… et même une balançoire qui vole au-dessus de l’eau!

Cet endroit franchement magique est régi par une bande de hippies terre-à-terre, qui vivent dans des caravanes et des cabanes en bois, sur place. Cela s’appelle le Bar 25. Et cela va disparaître pour laisser la place à un immonde bâtiment mégalomane de plus sur les bords de la Spree (la Seine berlinoise).

Media Spree est le nom d’un projet surdimensionné, qui vise à éradiquer tous les lieux en friche, ou un peu fantaisistes, des bords du fleuve berlinois, pour les remplacer par des kilomètres de bureaux dédiés aux médias. Universal et MTV ont déjà fait leur trou à grands coups d’enseignes lumineuses aveuglantes.

Pourtant, le Bar 25, géré un peu comme une Commune, fait un chiffre d’affaires carrément à la hauteur et emploie 150 personnes à l’année, CDI et saisonniers confondus. Les créateurs de mode louent le lieu pour leurs aftershows, les artistes sans le sou s’y précipitent pour discuter et boire un verre dans une ambiance étonnante. Devant l’entrée, chaque soir, les fêtards se bousculent pour pénétrer dans ce lieu sans pareille. Le collectif loue le terrain à une grosse entreprise de nettoyage locale, qui leur retire le bail dans un mois. Dans ce bar-club-plage urbain, chacun vient habillé comme il l’entend, parle avec qui il veut, et l’esprit est à la fête. Le Bar 25, à la fois super relax et super branché, hippie et pragmatique, reflète parfaitement l’esprit de Berlin.

Faire fermer le Bar 25 est une erreur de plus dans la stratégie de la Ville de Berlin. Berlin a peu d’économie locale en dehors de celle du tourisme. Or, que viennent chercher les voyageurs qui s’arrêtent dans la capitale allemande? Un air libre et créatif, hors des conventions. Berlin est le poumon artistique de l’Europe. Une ville bon marché mais moderne, où les artistes des quatre coins du monde viennent s’installer, pour créer sans payer de loyer hors de prix, sans être regardés comme des fous. Media Spree est l’antithèse de cet esprit bohème intelligent : des barres de béton et de verre, chargées de néons publicitaires, où une industrie culturelle de masse emploie des gens en CDD et des stagiaires sous-payés.

Si vous voulez respirer un peu de ce Berliner Luft si unique en Europe, c’est maintenant. Parce que bientôt, on n’entendra plus que du Britney Spears et du Puff Daddy sur les bords de la Spree. Moi, c’est simple, j’y suis presque tous les soirs, au Bar 25. Une forme de résistance par la fête!

* Roman américain de Robert Louis Stevenson publié en 1883

39 Commentaires

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39 réponses à “Stevenson, priez pour nous

  1. Merci de ce billet qui en plus d’être un petit pavé dans la mare de l’aseptisation et de l’homogénéisation des grandes villes européennes, me fait découvrir un aspect inattendu et dépaysant de Berlin que je ne connais pas (encore)…

    • Merci à toi Emmanuel! Il semblerait qu’on ne puisse plus rien faire contre Media Spree et c’est déprimant. Battons-nous pour que d’autres coins de Berlin, de Paris, nous restent, à nous citoyens, au lieu de finir méchamment privatisés. Ô rage!

      Quant à Berlin, fonces-y et… vite, car hélas… on craint le pire.

  2. oula
    je sens que je vais m’y rendre boire des bières

  3. Ce soir, tu bois un verre pour moi, à la gloire des lieux du monde qui ressemblent au monde (celui qu’on aime).

  4. matt

    que de souvenirs !!
    merci de me l’avoir fais découvrir lors d’un un été indien !

    matt

  5. Sit

    Yeah, j’y étais la semaine dernière !

  6. Christian

    Il y a eu une manif du côté de Warschauer str. c’est la première fois que je voyais des « CRS » allemands, qui ceci étant dit, ont l’air aussi demeurés que les notres. Il y avait une magnifique ambiance, les gens dansaient au son d’une sono surpuissante juchée sur un camion, plein de couleurs dans la rue. Pendant ce temps, les flics filmaient, histoire d’avoir un catalogue complet des hommes et femmes qui résistent à ce projet stupide. J’ai juste hâte de retourner à Berlin, voir si il y a toujours de l’herbe folle qui pousse des bords de la Spree….

    • De l’herbe folle il y en a! Il peut en couler, de l’eau, sous le pont Oberbaum, avant que Berlin ne bouffe tous ses enfants barjots… Heureusement!
      Retourne donc à Berlin sans hésitation et mêle-toi à eux pour barrer la route à Media Spree! :-)

  7. Mo

    J’y suis dans moins de quinze jours… en manque de cet air berlinois si délicieux! J’ai l’impression que Berlin ne sait plus exister sans ses grues et ses chantiers, quitte à faire n’importe quoi maintenant que le plus gros est fait. Je pleure encore le Palast der Republik…

    • La mort du Palast est triste, mais c’est vrai que c’était un danger public, toxique de la cave au plafond. Cela dit, construire un castelet ridicule à la place est franchement très con. Mais c’est quoi son problème, au maire de Berlin, bordel?! Pardon . je suis énervée quand on me bousille ma ville chérie. Profite à fond de tes vacances berlinoises! Moi je n’y suis pas en ce moment, je suis les pieds dans l’eau en Italie!

  8. Bois aussi un coup à ma santé dans ce lieu que je n’aurai jamais la chance de découvrir. En tout cas, ça donne envie de sauter dans un avion pour aller faire la fête!

  9. Fabuleux, je ne connaissais pas. Longue vie à ce lieu. Et le CohnBendit vert que fait il ???

    Kisses

    • C’est clair, on se le demande… et les artistes berlinois, on se demande aussi pourquoi ils ne l’ouvrent pas un peu plus… probablement parce qu’ils espèrent tous signer un jour chez Universal, qui fait partie de Media Spree? Argh! Je suis écoeurée…

  10. Arggghhh, je VEUX revenir à Berlin !!!!

  11. Décidément, vous savez me donner envie d’aller à Berlin !!

  12. C’est bien simple, je pense que j’irai y faire un tour ce week-end!!!

  13. c’est la tragédie des espaces de liberté et de création,
    leur réussite cause inévitablement leur perte, leur appropriation marchande et policée,
    c’est inhérent à l’époque depuis les années 60 l’émergence et l’importance de la culture pop (au sens large),
    il faut voir comment manhattan, à peu près équivalente à paris intramuros, est devenu en 10 ans fer de lance de la création (les 80s), et 20 ans plus tard est une île aseptisée ayant repoussée tous les artistes à Brooklyn.

    je suis moyennement optimiste, magda,
    à moins d’être propriétaire des sols je ne vois guère d’issue dans les villes « globales ».
    dans les petites et moyennes villes la pression est déjà moindr,e mais le degré d’excitation et d’émulation aussi :-/

    bref, je croise les doigts mais bon…

  14. taktblog

    Merci pour ce billet Magda, ça m’attriste tout ça, et comme Arbobo je suis assez pessimiste sur le sujet. La résistance est bien là, avec par ex. l’initiative de citoyens « Mediaspree versenken » qui avait réussi à provoquer un référendum l’année dernière, avec 86% contre le projet, et pourtant ça n’a pas changé grand chose…
    Pour le plaisir, des photos d’un blocage lors d’une visite d’investisseurs du projet: http://www.flickr.com/photos/jakobhuber/sets/72157605936369951/

  15. encore heureux que ça t’énerve magda :-)

    le problème n’est majeur, je trouve, que pour des lieux comme la spree, je veux dire lorsque la localisation est unique, le cadre naturel menacé… (par exemple que deviendra la rive droite de la Garonne à Bordeaux à l’apparition d’un nouveau pont?)
    tous les lieux, en termes géographiques, patrimoniaux, architecturaux, ne se valent pas.

    pour le reste, prends ton « point fmr » à Paris, un de tes lieux de ralliement, le principe même est d’être éphémère comme le nom l’indique. Avant le « point » (un entrepot de Point P laissé pour un temps indéterminé sans affectation), il y a eu l’hopital éphémère dans le 18e, et une usine éphémère, je ne sais plus depuis quand ça dure mais chaque fois l’équipe investit avec l’accord des proprios un lieu inoccupé, avec une convention d’occupation et tout le toutim, totu en sachant que ça n’aura qu’un temps.
    et quand on voit ce que devient en ce moment le point fmr, justement, une sorte d’annexe de chez Prune, ce n’est sans doute pas un mal car ce vagabondage forcé, ce nomadisme a aussi ses vertus, il oblige à conserver un esprit à l’écart du mainstream.
    en un sens j’ai déjà hâte de voir l’étape suivante, l’après-point :-)

    je parle de lieux qui ont une stabilité de quelques années à chaque fois, bouger tous les 3 mois c’est la précarité totale, totu n’est pas comparable.
    voir aussi l’exemple du théâtre de verre, toujours à Paris.

  16. Eh bien, c’est bien simple, ce bar25, c’est tout simplement l’extase. 1h de queue en ce vendredi soir, mais cela les vaut aisément: c’est magique. Hommage d’abord à la balançoire au milieu des boules à facettes. J’y retourne dès demain, pour honorer les lieux une dernière fois!

    • Quelle chance. Je suis obligée d’être à Paris trois mois pour le boulot et je ne pourrai pas y aller une dernière fois… salue le petit cheval (jamais en état de marche) pour moi, j’ai une affection particulière pour lui. Et joue au volley-ball près du sauna pour moi aussi – as-tu remarqué la pancarte « volly-ball » avec le « e » rajouté à la dernière minute? Ça me fait toujours poiler parce que je connais la personne qui l’a peinte :-)

  17. ouah … la soirée de clôture c’était de l’extase pure :)
    je n’arrive toujours pas à croire qu’ils vont fermer …

  18. alors ca y est ? C’est fermé? J’ai eu la chance d’e profiter tout le mois d’aout (3 à 4 soirs ou afters par semaine), et maintenant, il nous reste quoi? le club der visionaere? Nos yeaux pour pleurer?

  19. Mais je me sens comme chez moi ici! J’irai bientôt à Berlin, après mes voyages bucarestois, pour suivre un ou deux séminaires sur le post-modernisme en littérature.
    J’ai rencontré hier quelqu’un qui m’a dit « c’est moche, Berlin. Tout est déglingué – ou alors très moderne, et ce n’est pas ce que je préfère ».
    Ca m’énerve, ça. C’est comme les jugements sur Bucarest. On ne cherche pas à entrer, à pousser une porte, à comprendre les coutures à vif de ces villes autopsiées de notre vivant à nous!
    Ce qui est vrai aussi, c’est que des villes comme ça ont besoin du soutien de leur amoureux du monde entier pour conserver leur âme. Et c’est plus difficile d’aimer et d’entretenir des villes qui respirent y compris à travers leurs blessures, que des musées ripolinés…
    Bravo pour ton blog. Je mets en liens chez moi.

    • Merci Laure, et bienvenue à Berlin alors, il n’y a aucune chance que tu le regrettes! Bienvenue au cœur de l’Europe créative !

      J’aime ce que tu dis des villes… je pense que tu trouveras ton compte parmi les ruines vivantes et tenaces de l’histoire allemande, tiens-moi au courant!

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