Montpellier, dans l’appartement de Julie, le 2 décembre 2007
Julie, 25 ans, prospectiviste démographe, vit à Montpellier
Julie et moi nous rencontrâmes en 1999 sur les bancs de la prépa Sciences Po à Paris. Cette indéfectible amitié qui nous liât immédiatement me consuisit hier chez elle, à Montpellier, pour une fumante soupe au potiron mijotée par son amoureux cordon bleu, Christophe. Julie me vanta à plusieurs reprises les mérites d’un livre qu’elle venait de finir. Je dus presque l’attacher au radiateur pour qu’elle accepte cette interview, mais comme vous allez le voir, cela en valut la peine. (Oui, j’ai adopté définitivement, comme vous pouvez le constater, chers lecteurs, l’emploi du passé simple, bien trop peu usité de nos jours, et qui sied à mon snobisme littéraire.)
Qu’est- ce que tu lis?
Le blog de Max, de Max. Max, on ne sait pas qui c’est. C’est un bloggeur (NDLR : Max est un bloggeur qui racontait sa vie de bureau jour par jour avec un humour assez féroce). Ou alors, s’il n’y a pas de nom sur la couverture, c’est parce que c’est un complot du Ministère du travail, qui essaie d’initier, à travers une subtile conception du management de l’entreprise, une nouvelle manière d’optimiser ses agents à fournir une productivité majeure pour la survie des PME, qui sont effectivement en danger, dans le monde très concurrentiel dans lequel nous vivons, où les petits se font manger par les gros.
Cool. Une phrase que tu aimes dans ce livre?
« Aux curieux entêtés, l’estocade est donnée par une carte postale en apparence anodine mais adossée de telle façon que l’oeil désorienté finit immanquablement par tomber dessus. Elle reproduit un tableau de Dali : Jeune vierge autosodomisée par les cornes de sa propre chasteté, 1954. »
Pourquoi ce livre?
Je fais un travail passionnant depuis un an : je suis fonctionnaire. Mon patron s’appelle J$£//!@biiiiiip (Julie bruite une censure avec talent), plus connu sous le nom de « Grand Manitou fou et incompétent ». Désespérée par une situation d’incompétence généralisée, ayant un vrai travail, rentrant dans la vie active de plain pied, de toute ma jeunesse et de toute mon énergie, une collègue m’a offert trois livres pour soigner ma dépression post-déjeuner. Tu sais, tu rentres à deux heures de ta pause déjeuner, tu es lourd, tu es mou, mou, mou, t’es un mollusque, tu mets ton doigt dans une oreille et il ressort par l’autre oreille, tant ton cerveau est mou. Ma collègue m’a donc offert trois bouquins, parmi lesquels Le blog de Max. A l’origine, c’était un vrai blog qui a eu vachement de succès, du coup, l’auteur s’est dit : je vais me faire de la thune en publiant ce blog chez un éditeur bien juteux (NDLR : Robert Laffont).
Et maintenant, qu’en penses-tu, de ce livre?
Ce livre m’a permis d’élaborer un concept en automanagement et conduite de projet en superstructure tout à fait intéressant, qui s’appelle : le détachement. Le détachement au travail, il faut le vivre pour comprendre ce que c’est. L’une de mes principales missions au travail maintenant, c’est de percer ce grand mystère qui habite ma vie et qui est le suivant : à savoir si les gens qui travaillent dans mon service l’ont tous découvert et le pratiquent tous. Moi, je l’ai découvert au bout d’un an, le détachement, et Le blog de Max m’a aidée à le découvrir plus tôt que les autres.
Le livre est hallucinamment bien écrit, d’autant plus pour un truc comme ça (NDLR : un blog, quoi. Merci Julie…). Pour que le gars puisse trouver des formules pareilles, je pense qu’il a dû glander pas mal de temps!
Avoue! Tu l’as lu au bureau?
Non! Je l’ai lu chez moi. Car j’ai découvert dans mon propre bureau d’autres personnes que je soupçonne d’être détachées. Elles traînent dans le couloir, soit physiquement, soit en jetant un oeil, alpaguent quelqu’un et commencent par parler d’un sujet super sérieux pour finir par parler pendant une heure de la pluie ou du beau temps. Ce sont des échanges salvateurs entre collègues de bureau, parce que ça doit faire au moins une heure qu’ils sont sur un tableau Excel ou sur Google, et ils ont envie de se décrasser la mâchoire… du coup, toutes ces rencontres pas du tout fortuites dans les couloirs de mon bureau ont considérablement rallongé mes journées de travail. Je n’ai donc pas eu le temps de lire Le blog de Max au bureau.
Mais cette situation : ne rien foutre au bureau, ne me convient pas. je suis jeune, je suis active, je crois au travail, je crois en l’action publique, je crois en la politique!
Quel est ton livre préféré?
Cent ans de solitude, de Gabriel Garcia Marquez. Mais alors putain, on est loin du Blog de Max, là. C’est des mondes parallèles!
Maintenant, fais-moi une grimace inspirée par ce bouquin!
Classe…
Et désormais, Julie sera pour moi…
Celle qui n’a pas encore pris conscience qu’elle va se faire détester par la moitié de mes lecteurs si je ne précise pas la chose suivante : Julie a de l’humour, Julie est une bosseuse, Julie aimerait bien en faire plus au bureau – c’est pas de sa faute, si l’Etat français ne donne pas de boulot aux prospectivistes démographes.
Moi, je soupçonne certain(e)s d’entre nous de bloguer au bureau… je me trompe? héhé! ;-) Ah, je ne vise personne, hein…