Archives de Catégorie: interviews de lecteurs

Chinoiseries berlinoises

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Des livres, des livres, des livres… parfois les livres ont taille humaine! Ici, c’est une oeuvre monumentale de l’artiste allemand Anselm Kiefer, exposée à la Hamburger Bahnhof, un musée d’art contemporain de Berlin. Une bibliothèque tragique faite de livres en feuilles de plomb…

J’ai envie de faire un jeu avec vous, amis bloggeurs et lecteurs…

Comme vous le savez, je suis à Berlin, où j’écris une pièce de théâtre. Donc j’avale des litres de chocolat Milka et de Yogi Tea, je fume des millions de Vogue, et j’écris des milliers de mots. Quand je sors, je manque de déraper sur le sol gelé, je fume des milliards de Vogue dans les clubs électro-rock-sixties-bargeot-boueux-techno-rigolos et j’arrose le tout de White Russian. Cela laisse peu de temps pour une interview : les gens que je croise ont rarement un livre à la main – mais bien plutôt une guitare, une bière, ou une paire de moufles pour vaincre le froid sibérien.

Mais l’interview est chez moi une manie que mon entourage pourrait vous confirmer – certains m’appellent Mireille Dumas, les vilains!

Alors je vous interviewe en direct sur mon blog avec ce petit portrait chinois.

Si vous étiez un livre, quel livre seriez-vous?

Go. Au premier qui répond, j’envoie un exemplaire du livre du dernier qui répond.

En ce qui me concerne, si j’étais un livre, je crois que je pourrais bien être la série Doubles Jeux de Sophie Calle… Vous savez bien, cette histoire de fille agaçante qui poursuit les passants, les interroge, les prend en photo, une vilaine voyeuse, en somme!


PS : Dans le genre blog qui « joue » (j’en suis mordue, de ces chaînes, de ces jeux), je vous recommande Un jour, une question, vraiment sympa.

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Guillaume lit « Ce que savait Maisie »

Guillaume lit Ce que savait Maisie

Guillaume, 26 ans, thésard en droit et chargé de TD à la faculté de Montpellier. Vit à Montpellier.

Interview réalisée dans la cuisine montpellieraine de Guillaume.

A l’âge de quatorze ans, Guillaume et moi  habitions Dijon. Nous jouions aux Liaisons dangereuses, s’écrivant sous le nom de Merteuil et Valmont des missives pleines de volutes et de petits défis faussement pervers (je vous somme de séduire la demoiselle de Volanges, dite aussi Caroline du cours de maths, sous peine de courir enduit de ketchup sur l’avenue de la Liberté…) qu’on se glissait en douce en cours de bio. Douze ans de relation amicale et épistolaire plus tard, je passe quelques vacances chez lui. Sur son lit traîne un bouquin dont Guillaume a très envie de parler…

Qu’est-ce que tu lis?

Ce que savait Maisie, de Henry James.

Une phrase que tu aimes dans ce livre?

« Le procès avait paru interminable et certes était le cas était compliqué ». C’est un peu une déformation professionnelle de ma part, mais je suis assez sensible à l’idée que le roman commence par ces mots. Ca commence par un jugement, par des mots qui viennent trancher une situation humaine. C’est un cas, quelques chose d’objectif. Une situation humaine réduite à un cas : une homme et une femme divorcent et doivent se partager leur enfant. Voilà la situation juridique. Mais la vraie première phrase, c’est : « L’avenir de l’enfant était assuré, mais le nouvel arrangement était certes fait pour confondre toutes les notions dans une jeune intelligence intensément sensible au fait que quelque chose de très important s’était sans doute passé, et cherchant autour de soi avec anxiété les effets d’une si grande cause. »

Pourquoi ce livre?

J’ai eu envie de le lire à cause du titre, qui est intrigant : qu’est-ce qu’elle sait, cette brave Maisie?

 Comment ce livre est-il arrivé entre tes mains?

Je suis allé l’acheter dans une bouquinerie* de Montpellier, le Bateau-Livre. C’est un chouette endroit où j’ai travaillé comme libraire. J’ai d’ailleurs quelques anecdotes de libraire sympas… Par exemple, ce néo-nazi qui rentre dans la boutique pour me demander, l’air complice et par en-dessous « des livres sur le IIIe Reich ». Hélas, un client reste un client, je suis donc descendu dans l’Enfer de la bouquinerie, là où on classe les érotiques et les livres dits « militaria ». Surprise! Je dégotte un bouquin sur les « Panzer », je le remonte, je le lui tends, et je m’aperçois au dernier moment que le livre a été rédigé par… Thomas Mann! Le type me regarde d’un oeil noir et décrète que « ça ne convient pas du tout, Monsieur ». Ou encore ce client qui voulait un livre sur les chèvres angora… en fouillant le rayon « zoologie » dans le stock, je trouve un bouquin qui date de la Coloniale, L’élevage des chèvres angora à Madagascar. Mais le type me rétorque que ce n’est pas assez spécifique, lui, il voulait un ouvrage sur les chèvres angora albinos

Et maintenant, qu’en penses-tu, de ce livre?

Le titre est un peu programmatique. D’abord, ce titre, on peut le lire comme une parfaite description du procédé stylistique de l’auteur. L’histoire d’un carré amoureux, deux couples de l’Angleterre victorienne qui ont une relation parfaitement scandaleuse (les paires se font, se déont, s’échangent, divorcent, se remarient, des adultères…). Tout ça est raconté par un narrateur extérieur assez ironique, mais du point de vue de cette petite fille de six ans. Il ne nous raconte pas plus que ce que savait Maisie. 

Maisie, évidemment ne sait pas tout, elle se construit parfois des idées fausses qui font rire les grandes personnes autour d’elles, et qui s’inquiètenet justement de ce qu’elle sait, ou de ce qu’elle ne sait pas. La question revient en permanence dans le roman : qu’est-ce qu’on peut lui dire ou ne pas lui dire, pour ne pas troubler sa pureté enfantine? Maisie, elle, pourtant, ne ressent pas le scandale de ces situations, et nous lecteurs non plus, puisque nous sommes avec Maisie, on est comme des petits enfants. C’est là qu’Henry James est très fort : il raconte une histoire en creux ; le titre est presque une farce : en fait, Maisie ne sait pas grand-chose! Avec elle, on devine l’histoire. Quelque part, c’est un non-roman.

Le secret que contient cette oeuvre, c’est le secret de l’innocence. On veut savoir ce qui fait que Maisie ne sait pas.

Il faut lire ce livre. Il est génialement discret. Henry James n’a pas eu beaucoup de succès en son temps… C’est tellement discret, ce qu’il fait! Tout est dans la nuance, tout est entre les lignes. Dans le titre, tout est presque déjà dit! James n’a rien à nous expliquer, il nous fait tout vivre, simplement. Il a une ironie tendre envers tous ses personnages. Il n’y a pas de manichéisme.

Quel est ton livre préféré?

Pour moi, le truc le plus révolutionnaire que j’aie lu ces dernières années, c’est American Psycho. Bret Easton Ellis a réussi a poser des mots sur ce malaise créé par la société de consommation, l’économie de marché, l’individualisme… Là non plus, son style n’a pas d’effets de manches. Pour moi, cet auteur a donné un langage à notre époque, le langage à la fois publicitaire, marketing, et très bien-pensant de la démocratie, tout en racontant les événements abominables de la vie d’un psychopathe, d’un monstre! Je trouve que Houellebecq l’a complètement plagié. Si on prend Les particules élémentaires, c’est évident! Il y a les mêmes composantes : la consommation et l’abjection. Ce qui fait toute la différence, c’est que Bret Easton Ellis lie tout ça par la langue, tandis que Houellebecq met tout à distance.

Et maintenant, fais-moi une grimace inspirée par ce bouquin!

grimace Guillaume

Et désormais, Guillaume sera pour moi…

…mon meilleur ami, ça change pas, y a pas mieux.

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Julie lit « Le blog de Max »

Montpellier, dans l’appartement de Julie, le 2 décembre 2007

Julie, 25 ans, prospectiviste démographe, vit à Montpellier

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Julie et moi nous rencontrâmes en 1999 sur les bancs de la prépa Sciences Po à Paris. Cette indéfectible amitié qui nous liât immédiatement me consuisit hier chez elle, à Montpellier, pour une fumante soupe au potiron mijotée par son amoureux cordon bleu, Christophe. Julie me vanta à plusieurs reprises les mérites d’un livre qu’elle venait de finir. Je dus presque l’attacher au radiateur pour qu’elle accepte cette interview, mais comme vous allez le voir, cela en valut la peine. (Oui, j’ai adopté définitivement, comme vous pouvez le constater, chers lecteurs, l’emploi du passé simple, bien trop peu usité de nos jours, et qui sied à mon snobisme littéraire.)

Qu’est- ce que tu lis?

Le blog de Max, de Max. Max, on ne sait pas qui c’est. C’est un bloggeur (NDLR : Max est un bloggeur qui racontait sa vie de bureau jour par jour avec un humour assez féroce). Ou alors, s’il n’y a pas de nom sur la couverture, c’est parce que c’est un complot du Ministère du travail, qui essaie d’initier, à travers une subtile conception du management de l’entreprise, une nouvelle manière d’optimiser ses agents à fournir une productivité majeure pour la survie des PME, qui sont effectivement en danger, dans le monde très concurrentiel dans lequel nous vivons, où les petits se font manger par les gros.

Cool. Une phrase que tu aimes dans ce livre?

« Aux curieux entêtés, l’estocade est donnée par une carte postale en apparence anodine mais adossée de telle façon que l’oeil désorienté finit immanquablement par tomber dessus. Elle reproduit un tableau de Dali : Jeune vierge autosodomisée par les cornes de sa propre chasteté, 1954. »

Pourquoi ce livre?

Je fais un travail passionnant depuis un an : je suis fonctionnaire. Mon patron s’appelle J$£//!@biiiiiip (Julie bruite une censure avec talent), plus connu sous le nom de « Grand Manitou fou et incompétent ». Désespérée par une situation d’incompétence généralisée, ayant un vrai travail, rentrant dans la vie active de plain pied, de toute ma jeunesse et de toute mon énergie, une collègue m’a offert trois livres pour soigner ma dépression post-déjeuner. Tu sais, tu rentres à deux heures de ta pause déjeuner, tu es lourd, tu es mou, mou, mou, t’es un mollusque, tu mets ton doigt dans une oreille et il ressort par l’autre oreille, tant ton cerveau est mou. Ma collègue m’a donc offert trois bouquins, parmi lesquels Le blog de Max. A l’origine, c’était un vrai blog qui a eu vachement de succès, du coup, l’auteur s’est dit : je vais me faire de la thune en publiant ce blog chez un éditeur bien juteux (NDLR : Robert Laffont).

Et maintenant, qu’en penses-tu, de ce livre?

Ce livre m’a permis d’élaborer un concept en automanagement et conduite de projet en superstructure tout à fait intéressant, qui s’appelle : le détachement. Le détachement au travail, il faut le vivre pour comprendre ce que c’est. L’une de mes principales missions au travail maintenant, c’est de percer ce grand mystère qui habite ma vie et qui est le suivant : à savoir si les gens qui travaillent dans mon service l’ont tous découvert et le pratiquent tous. Moi, je l’ai découvert au bout d’un an, le détachement, et Le blog de Max m’a aidée à le découvrir plus tôt que les autres.

Le livre est hallucinamment bien écrit, d’autant plus pour un truc comme ça (NDLR : un blog, quoi. Merci Julie…). Pour que le gars puisse trouver des formules pareilles, je pense qu’il a dû glander pas mal de temps!

Avoue! Tu l’as lu au bureau?

Non! Je l’ai lu chez moi. Car j’ai découvert dans mon propre bureau d’autres personnes que je soupçonne d’être détachées. Elles traînent dans le couloir, soit physiquement, soit en jetant un oeil, alpaguent quelqu’un et commencent par parler d’un sujet super sérieux pour finir par parler pendant une heure de la pluie ou du beau temps. Ce sont des échanges salvateurs entre collègues de bureau, parce que ça doit faire au moins une heure qu’ils sont sur un tableau Excel ou sur Google, et ils ont envie de se décrasser la mâchoire… du coup, toutes ces rencontres pas du tout fortuites dans les couloirs de mon bureau ont considérablement rallongé mes journées de travail. Je n’ai donc pas eu le temps de lire Le blog de Max au bureau.

Mais cette situation : ne rien foutre au bureau, ne me convient pas. je suis jeune, je suis active, je crois au travail, je crois en l’action publique, je crois en la politique!

Quel est ton livre préféré?

Cent ans de solitude, de Gabriel Garcia Marquez. Mais alors putain, on est loin du Blog de Max, là. C’est des mondes parallèles!

Maintenant, fais-moi une grimace inspirée par ce bouquin!

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Classe…

Et désormais, Julie sera pour moi…

Celle qui n’a pas encore pris conscience qu’elle va se faire détester par la moitié de mes lecteurs si je ne précise pas la chose suivante : Julie a de l’humour, Julie est une bosseuse, Julie aimerait bien en faire plus au bureau – c’est pas de sa faute, si l’Etat français ne donne pas de boulot aux prospectivistes démographes.

Moi, je soupçonne certain(e)s d’entre nous de bloguer au bureau… je me trompe? héhé! ;-) Ah, je ne vise personne, hein…

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